Le parfum le plus célèbre du monde fête son centenaire. Plus qu’une fragrance iconique, une équation irréductible. Pour toujours le parfum du moment.            


2021. Pour la première fois, Marion Cotillard prête son visage à un parfum ou, plutôt, à un mythe. Pour le centenaire du N°5, le parfum le plus porté sur Terre, la star est allée « jusqu’à décrocher la Lune ». Fidèle à la maison de couture depuis qu’elle a foulé le tapis rouge, « chanelisée » de pied en cap, pour « La Môme », d’Olivier Dahan (en 2008), film pour lequel elle remportera l’Oscar, le César, le Golden Globe et le BAFTA de la meilleure actrice.

1921. Chanel règne sur la couture parisienne et a l’idée d’un parfum révolutionnaire. Contrairement à ce qui est proposé à l’époque, elle demande à Ernest Beaux, un parfumeur de Grasse, de créer un parfum qui ne renverrait à aucune senteur florale précise, un parfum « construit » comme le sont ses robes, une fragrance abstraite et mystérieuse. Beaux choisit pas moins de quatre-vingts composants pour son assemblage, dont la rose de mai, l’ylang-ylang et du jasmin de Grasse à profusion, la matière la plus chère de l’époque. Il ajoute à la formule des aldéhydes, un composant de synthèse, utilisées pour la première fois en surdosage pour mieux exalter les senteurs. Du jamais-vu ! C’est l’un des ingrédients secrets du N°5. On est face à une odeur indéfinissable mais, comme le dit elle-même Mademoiselle Chanel, « c’est un parfum de femme, à odeur de femme ». Ce qui est, pour l’époque, une audace de langage inimaginable. Puisqu’une femme (du monde) n’est pas censée sentir la femme, elle doit sentir la fleur, elle doit surtout sentir la vertu.

Le bon numéro

Autre idée de génie : le flacon est inspiré d’une fiole de laboratoire et son bouchon rappelle la géométrie octogonale de la place Vendôme, symbole du luxe. Un packaging sobre en noir et blanc. C’est le manifeste graphique d’une nouvelle vision de la beauté, conciliant chic et simplicité. Et puis, il y a ce nom, magique, un simple chiffre. Mademoiselle innove encore : aux noms fleuris et alambiqués, elle répond par l’abstraction du numéro 5. La légende raconte que, effectivement, c’est le cinquième essai d’Ernest Beaux que Chanel retient comme étant son parfum. Il se trouve aussi que le 5 est son chiffre porte-bonheur. Cela tombe bien, c’est également un nom qui ne nécessite aucune traduction pour franchir les frontières. Car, côté marketing, Chanel sait y faire. Elle sera la première à poser en 1937 dans un magazine de mode (« Harper’s Bazaar ») pour une publicité de son propre parfum. De même qu’elle sera la première couturière à faire de la « réclame » à la télévision : en 1968, à New York, le photographe Richard Avedon tourne ainsi « Tomorrow’s woman », un clip qui dure près d’une minute et coûte la bagatelle de 15.000 dollars. Une fortune pour l’époque. Mais le marché américain adore.

Les plus belles femmes du monde

En 1954, Marilyn Monroe fait entrer Le 5 définitivement dans la légende, avec cette réplique pleine d’esprit à un journaliste qui lui demande ce qu’elle porte pour dormir. « Just a few drops of Chanel Number Five… » La planète s’enflamme ! « Les gens sont bizarres », dira-t-elle plus tard. « Ils vous posent de ces questions ! Et si vous êtes franche, ils sont choqués. On m’a demandé : qu’est-ce que vous portez la nuit ? Une chemise de nuit ? Je réponds quelques gouttes de parfum, et l’on croit que c’est encore un bon mot, alors que j’essayais juste de répondre avec tact à une question grossière et indiscrète. »

Depuis, les plus belles femmes ont porté du N°5 ou l’ont incarné. Candice Bergen, Suzy Parker, Ali Mac Graw, Lauren Hutton, Cheryl Tiggs, Catherine Deneuve, Carole Bouquet (filmée par le réalisateur belge Gérard Corbiau jouant la surprise en faisant sortir un orchestre symphonique de la mer), Nicole Kidman, Gisèle Bündchen, Audrey Tautou et même… Brad Pitt (en 2012). L’acteur est filmé par le réalisateur Joe Wright. Qui mieux qu’une femme peut parler d’un parfum féminin ? Un homme, bien sûr, et quel homme ! Il fallait y penser… Ultime reconnaissance, en 1985, Andy Warhol « himself » lui dédiera une série de neuf sérigraphies. Un parfum érigé en œuvre d’art ! Il est actuellement exposé au Palais Galliera, à Paris (Expo « Gabrielle Chanel, Manifeste de mode ») et vient de s’offrir des timbres-poste (en édition limitée) pour la Saint-Valentin 2021. D’autres actions de marketing et de communication sont attendues au cours de l’année. Pour toujours le parfum du moment.

Dans l’histoire du 5, il y a aussi une zone d’ombre : le conflit qui opposa Coco Chanel et ses associés, les frères Wertheimer, patrons des cosmétiques Bourjois depuis 1898. L’accord stipulait que 90 % des revenus des parfums Chanel soient versés aux producteurs et distributeurs et 10 % à la créatrice, mettant Gabrielle définitivement à l’abri du besoin. Malgré ça, Chanel se sent lésée. Une longue bataille commerciale s’engage, sans états d’âme. Mademoiselle Chanel ne gagnera pas la partie… mais ne perdra pas les bénéfices du N° 5 qui feront d’elle après la guerre une femme encore plus riche. L’histoire ne retiendra que la fabuleuse épopée d’un parfum visionnaire qui perdure et annonça, avant l’heure, la mode des grands parfums de couturier.

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