Il y a 75 ans, naissait un véhicule que ses concepteurs avaient imaginé pour une vie à la campagne. Mais le public a décidé qu’elle devait avoir un destin bien plus universel et une incroyable longévité. D’outil rural à icône pop, la « Deuche » a traversé toutes les époques !


C’est un mystère insondable que chaque constructeur rêve de percer un jour : certaines voitures parviennent à marquer l’inconscient collectif à un point tel qu’elles deviennent des icônes populaires archétypales du pays qui les a vues naître. Si on vous dit Italie ? Vous répondez Fiat 500. Allemagne ? La Coccinelle. Angleterre ? La Mini, évidemment. Et quand on pense à la France, on ne peut que penser à la Citroën 2CV.

Surnommée « Deudeuche », « Deux-Pattes », « Deux-Poils » ou encore « escargot en fer » en Angleterre ou « le petit canard » en Allemagne et en néerlandais, cette voiture emblématique a officiellement vu le jour en 1948 lors de sa présentation au Salon de Paris. Toutefois, Citroën avait commencé à l’imaginer bien avant cette date. Pour célébrer les 75 ans de cette voiture sympathique et intemporelle, nous préférons vous offrir quelques informations amusantes et anecdotiques plutôt qu’une plongée historique détaillée, académique et barbante. Tout ce que n’était pas la 2CV…

Le cahier des charges le plus cocasse de l’histoire

C’est peut-être l’anecdote la plus célèbre concernant la « Deuche » mais elle est si savoureuse qu’on ne résiste pas à l’envie de la répéter encore. Le cahier des charges établi pour la conception de la voiture disait ceci : elle devait être abordable pour les familles rurales à faibles revenus et transporter quatre passagers et 50 kilos de bagages à une vitesse de 60 km/h. Elle devait aussi pouvoir rouler dans un champ labouré avec un panier d’œufs, sans en casser un seul. Enfin, monsieur devait pouvoir s’asseoir au volant sans enlever son chapeau, par exemple lorsqu’il emmenait sa famille à la messe du dimanche. Ô carte postale sépia d’une certaine France des temps jadis !

C’est avec toutes ces cases à remplir que les concepteurs se mirent au travail. Et comme c’est souvent le cas lorsqu’une voiture n’a pas encore de nom commercial, on donna à celle qui ne s’appelait pas encore 2CV un nom de code. A l’époque, on n’avait pas recours à des combinaisons alphanumériques complexes dignes de mots de passe Wi-Fi. Les ingénieurs avaient pour mission de concevoir une voiture extrêmement économique à l’achat et à l’usage et qui était considérée, selon les normes de l’époque, comme une « toute petite voiture ». Son nom de code : TPV (Toute Petite Voiture). Voilà qui est très premier degré. « Projet Cyclope » aurait eu plus d’allure et n’aurait pas été moins à propos.

Car au début du développement de la 2CV, dans le souci de la rendre aussi abordable que possible, l’idée de n’équiper la voiture que d’un seul phare, à gauche, a été envisagée. Cette « trouvaille » a finalement été abandonnée mais la 2CV n’a, en revanche, eu qu’un seul feu arrière pendant de nombreuses années. Cependant, il reste un prototype unique de la voiture avec une configuration de « cyclope ». Ce prototype a été perdu de vue (sic) pendant des décennies, pour être finalement retrouvé dans les années 90.

Retardée par la guerre

Comment a-t-on perdu un prototype si important ? C’est là que la petite histoire rejoint la grande. Le projet TPV a été lancé en 1937 et, en 1939, la voiture était pratiquement prête, avec 250 exemplaires de présérie déjà assemblés. Puis est arrivée la guerre. Pour éviter que les Allemands mettent la main sur la 2CV, il a alors été ordonné que ces voitures soient démontées et détruites. Seuls trois prototypes ont été préservés, cachés et emmurés dans des greniers et des caves de différents locaux du constructeur. Voilà comment la 2CV a échappé à l’envahisseur, qui était pourtant déterminé à faire sa connaissance. L’histoire raconte, en effet, qu’à leur arrivée en France, les Allemands avaient eu vent du projet TPV, pour lequel ils avaient un vif intérêt. Tant et si bien que Pierre Boulanger, le « père » de la 2CV, se vit proposer une sorte de pacte avec le diable. En substance, on lui aurait dit (avec l’accent des Allemands de « La 7e Compagnie ») : « Montrez-nous les plans de votre TPV, nous vous montrerons les plans de notre KDF. » Information importante pour les profanes : la KDF était le petit projet allemand qui allait devenir… la Volkswagen Coccinelle. En effet, ces deux légendes de l’automobile sont en réalité nées à peu près à la même époque et ont connu des destins étonnamment similaires.

Survivre à ses descendantes

La VW Coccinelle et la Citroën 2CV ont en commun (entre autres) d’avoir prêté leurs bases techniques à diverses variantes et, surtout, de les avoir toutes « enterrées ». Parmi les variantes de la « Deuche », on peut mentionner la version utilitaire Fourgonnette, produite de 1950 à 1978, ou la célébrissime Méhari, avec sa carrosserie en « plastique », fabriquée de 1968 à 1987 et aujourd’hui très prisée par les collectionneurs à la recherche d’une voiture de plage cool et vintage.

Et il y en a d’autres mais l’histoire la plus parlante est celle de la Dyane. Présentée en 1967 avec un design plus élégant et un intérieur légèrement plus soigné, ce modèle avait pour mission de reprendre le flambeau de la 2CV vieillissante. Une mission jamais accomplie : la Dyane a été retirée du marché en 1983, après 1,44 million de ventes. Après avoir vu s’éteindre toutes « ses filles », la « Deudeuche » a, quant à elle, poursuivi sa route jusqu’à atteindre 5.114.961 unités. Le dernier exemplaire est sorti de l’usine portugaise de Mangualde le 27 juillet 1990, soit une durée de vie de 42 ans. C’est 6 fois plus que la durée de vie moyenne d’une voiture moderne. Un parcours plutôt remarquable, pour une voiture que les inspecteurs des mines français avaient initialement qualifiée de « juste passable » en l’homologuant en 1939.

Star de cinéma et bête de course

En tant que voiture populaire omniprésente dans le paysage européen et au-delà, quoi de plus normal que la 2CV ait été présente dans d’innombrables films ? Pour nous, trois rôles sur grand écran de la « Deuche » sont particulièrement marquants. D’abord, il y a celui qu’elle a joué dans la série du « Gendarme de Saint-Tropez ». On se souvient facilement que les gendarmes conduisaient des Méhari. Mais rappelez-vous plutôt la nonne délicieusement dingue qui emmène les gendarmes dans sa 2CV dans de folles courses-poursuites et termine parfois avec seulement une « demi-Deuche ».

Course-poursuite toujours en 1981, dans « Rien Que Pour Vos Yeux », 12e opus de la saga James Bond, avec Roger Moore dans le rôle-titre. Une 2CV jaune y subit les pires outrages et Citroën commercialisera d’ailleurs une série spéciale de la voiture : une 2CV jaune, comme dans le film, portant un grand logo 007 sur les flancs et, un peu partout sur la carrosserie, de faux impacts de balles.

Mais l’apparition majeure de la 2CV au cinéma est aussi l’une des plus courtes. En 1965, dans « Le Corniaud », la 2CV toute neuve d’Antoine Maréchal (Bourvil) est percutée par la Rolls-Royce de Léopold Saroyan. La « Deuche » se disloque instantanément, donnant lieu à une réplique entrée dans le langage populaire, que vous récitez déjà probablement dans votre tête : « Forcément, elle va marcher beaucoup moins bien… »

Francorchamps…

C’est aussi en raison de son côté populaire, pas cher et facile à bidouiller, que la « Deuche » est choisie en 1985 par une bande de Belges qui veulent lancer une compétition automobile accessible au plus grand nombre. C’est la naissance des 24 Heures 2CV ! Le succès est immense car, en effet, à peu près n’importe qui peut se permettre d’inscrire une voiture, de la préparer de façon plus ou moins compétitive et de venir se mesurer à d’autres amateurs ou à des pilotes plus aguerris qui adorent l’ambiance bon enfant de l’événement.

Les 24 Heures 2CV existent toujours mais la Citroën a perdu le statut de « vieille bagnole pas chère » pour acquérir celui de collector dont on prend soin et se fait, donc, rare lors de l’épreuve. Aujourd’hui, la plupart des voitures des 24 Heures 2CV sont un autre modèle populaire de la marque, la Citroën C1.

Copiée par les Américains

Le dernier titre de gloire de la 2CV que nous voulons aborder est qu’elle ait été copiée par les Américains. Soyons juste : elle les a inspirés et ils ne s’en sont jamais cachés. En 1997, Chrysler essaie d’imaginer une voiture destinée aux marchés émergeants – et notamment la Chine dont on n’imagine pas encore qu’elle deviendra LA grande puissance automobile mondiale. Le constructeur développe donc un véhicule très simple, avec une carrosserie en plastique injecté, entraîné par un moteur 2 cylindres. Son nom est Composite Concept Vehicule ou CCV. Deux C, un V. Et si la référence dans le nom ne suffit pas, voyez la photo dudit concept !

La 2CV devait donc être une voiture rurale mais elle sera aussi voiture de hippies, d’étudiants, de femmes, de classes moyennes, du 3e âge, de curés et de bonnes sœurs, d’artistes, d’instits et de profs d’université un peu originaux, de cinéma, de course… Et la voilà voiture de collection ! A 75 ans, on peut dire que la 2CV a eu une vie bien remplie.

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