Ce sont 100 ans d’une histoire mouvementée, alternant triomphes et incertitudes, que célèbre, en 2019, la prestigieuse marque britannique. Une histoire qu’un certain W.O. Bentley, là où il est, contemple certainement avec orgueil !


Comme souvent, l’histoire d’une marque est aussi celle  d’un homme. Walter Owen Bentley naît à Londres, en 1888. La passion pour la mécanique le saisit très tôt et à 16 ans déjà, W.O. – c’est son surnom – se lance dans la vie active. Mais comme l’automobile en est encore à ses balbutiements, c’est dans une usine de locomotives qu’il réalise son rêve. Et si on a l’esprit facétieux, on peut dire que ce goût pour la machinerie lourde marquera toute son œuvre…

Le goût de la vitesse

Le développement du moteur à explosion détourne rapidement Bentley de ses premières amours. L’essence remplace la vapeur dans son cœur et l’homme a en plus l’esprit de compétition.

Il goûte pour la première fois à la vitesse  en 1909 et 1910, en pilotant des motos partout où il peut. Une période durant laquelle il connaît le frisson, à défaut de rencontrer le succès.

En 1912, il ouvre avec son frère une concession automobile, où il vend des modèles d’une marque française oubliée. Bentley a une conviction : la meilleure publicité qui soit pour une automobile, c’est la compétition. « Win on sunday, sell on monday », dit l’adage. Le problème est que ses voitures françaises sont vraiment trop lentes. Mais, technicien aguerri, il entreprend d’en modifier les moteurs, notamment en utilisant l’aluminium. Subitement, les placides françaises enchaînent les records de vitesse.

« M. Bentley ? Il construit des camions très rapides ! »

Quelque chose est en train de se passer. Mais ce bel élan est interrompu par la Première Guerre Mondiale, période que Bentley mettra tout de même à profit pour développer son expertise. Convaincu que l’aluminium a aussi un rôle à jouer dans l’aviation, W.O. se met au service de la Royal Navy, pour laquelle il crée un moteur d’avion. Un moteur si puissant et fiable que les idées de Bentley sont adoptées par d’autres constructeurs de moteurs aéronautiques, parmi lesquels Rolls-Royce. Bref, le conflit aura apporté à Bentley reconnaissance et fortune. Une fortune qui lui permet de créer l’entreprise que nous célébrons aujourd’hui.

 

Born in Le Mans

Les ateliers Bentley produisent leur première automobile en 1919, et W.O. n’en démord pas : pour que ses voitures se vendent, il faut qu’elles s’illustrent sur les circuits. C’est ce qu’elles font dès 1921, mais la résonnance internationale arrive en 1923. Cette année-là, des clients inscrivent un modèle « 3 Litres » à une épreuve comptant déjà parmi les plus célèbres du monde : les 24 Heures du Mans.

Dès cette première participation, la Bentley décroche une belle 4ème place, et une visibilité inespérée. Motivé par ce succès, W.O. se présente dans la Sarthe en 1924, et y décroche la première d’une longue série de victoires. En 1927, 1928, 1929 et 1930, les « Bentley Boys » – une joyeuse bande hétéroclite de pilotes de courses, d’aviateurs, de sportifs, d’industriels et autres – sont invincibles. Cette domination va sérieusement agacer le principal rival de Bentley aux 24 Heures : Bugatti. Lui qui produit de petites automobiles graciles, légères, mais passablement fragiles, n’a guère de sympathie pour des voitures qui sont tout le contraire : énormes, lourdes… mais fiables. La légende dit qu’un jour, Ettore Bugatti aurait déclaré : « M. Bentley ? Il construit des camions très rapides » !

Le train bleu

Rapides, c’est le moins qu’on puisse dire. Woolf Barnato, l’un des « Bentley Boys » et soutien financier vital de Bentley depuis 1925, en fait la démonstration lors d’un pari épique.

Le modèle « 6½ Litres » et sa déclinaison de course Speed Six avaient été lancés en 1928. Barnato va engager son propre exemplaire dans un défi improbable. L’idée : partir de Cannes pour rejoindre Londres – via Calais et le ferry à Douvres –  en tentant d’accomplir ce trajet plus vite que le faisaient alors les passagers du prestigieux train Calais-Méditerranée Express, aussi appelé « Le Train Bleu ».

Parti du Carlton, sur la Crooisette,  à 17h45, heure du départ du train, Barnato arrive à Londres le lendemain à 15h20, soit 4 minutes avant que le Train Bleu n’entre en gare de Calais. Pari gagné ! Et c’est suite à cette course que deux exemplaires Bentley 6½ Litres ont été surnommés « Blue Train Bentleys », des voitures bien connues des passionnés.

Ce modèle de légende ne compte pas dans l’histoire de la marque qu’en raison de cette course folle. La 6½ Litres, c’est la voiture qui a donné la définition définitive des Bentley, définition résumée en deux phrases. L’une de W.O. lui-même : « L’idéal auquel nous nous sommes tenus lors du développement de cette voiture était de ne sacrifier aucune once de silence et de souplesse à la vitesse. » L’autre de Maynard Greville, journaliste automobile de référence de l’époque : « Je considère que cette voiture est l’une des plus remarquables réussites technologiques du siècle, l’équilibre entre vitesse, silence de marche et souplesse ayant été préservé de façon tout à fait unique. Quel que soit son prix, cette auto est, parmi toutes celles qu’il m’a été donné de conduire, celle qui se rapproche le plus de la routière idéale. » Anno 2019, cette harmonie entre vitesse, silence et souplesse reste la caractéristique majeure des modèles Bentley !

Aux mains de l’ennemi

Mais que vaut le meilleur produit du monde quand personne ne peut l’acheter ? Dès 1921, les finances de Bentley deviennent problématiques et le constructeur est plusieurs fois sauvé par les investissements de Woolf Barnato. Mais quand survient la grande dépression en 1929, les ventes s’effondrent ca           rrément, et Barnato ne peut plus injecter d’argent dans la marque. En 1931, Bentley évite la faillite lorsqu’elle passe aux mains de la rivale de toujours, tant sur la route que dans les airs : Rolls-Royce.

Cette acquisition scelle la fin de l’engagement de Bentley en compétition avant très longtemps et de l’indépendance de la marque. Désormais, les Bentley ne sont en effet plus que des versions plus « sportives » des modèles Rolls-Royce. Une exception à cette règle : la R-Type Continental de 1952 est considérée par les puristes comme une authentique Bentley. Pointant à près de 200 km/h, elle était alors la voiture 4 places la plus rapide du monde.

Dans les années qui suivent le rachat, W.O. est toujours employé par sa marque. Mais, peut-être par une sorte de rancune née à l’époque des moteurs d’avion de la Navy, Rolls-Royce le met sur une humiliante voie de garage, le cantonne à des rôles de relations publiques ou de tests dans les Alpes, sans qu’il ait pour autant son mot à dire sur développement des voitures. M. Bentley tolère ce traitement jusqu’en 1935, puis s’en va exercer ses talents de technicien chez Lagonda, autre marque de prestige britannique, dont la destinée sera ensuite unie à celle d’Aston Martin. W.O. Bentley s’éteint en 1971, peu avant son 83e anniversaire.

La renaissance

Les Bentley continueront ainsi à être des déclinaisons Rolls-Royce jusqu’à la fin des années 90, période durant laquelle le monde automobile connait une période intense de « mercato ». En 1999, le lien entre Rolls-Royce et Bentley est coupé. La première est transférée à BMW, la seconde au groupe VW. Mais les choses ne sont pas si simples, car les Bentley utilisent de la technologie Rolls. Se pose donc le problème de la propriété intellectuelle. Ce n’est qu’en 2003 que les deux entités sont complètement séparées et que le groupe VW peut intégralement jouir de son achat. La chose avait d’ailleurs été soigneusement préparée puisque la même année, Bentley lance sa première voiture de l’ère nouvelle, dont la gestation durait depuis 4 ans : la Continental GT.

C’est aussi grâce à VW que Bentley renoue avec la compétition. Une version course de la Conti ne tarde pas à voir le jour, dont les générations successives écument depuis tous les circuits du monde. Mais surtout, il y a la Speed 8, un prototype avec lequel Bentley revient par la grande porte sur ce qui est un peu son lieu de naissance : Le Mans. Après une 3e place en 2001 et une 4e en 2002, Bentley réalise un doublé en 2003, décrochant enfin une sixième victoire aux 24 Heures, 73 ans après la précédente !

100 ans !

Bentley est aujourd’hui une centenaire qui se porte bien et qui, pour la première fois de son histoire, repose sur les fondations solides d’un géant industriel. Sa gamme est riche, a toujours le pouvoir de faire rêver et est fidèle à l’ADN de la marque. La preuve : la dernière réalisation en date de Bentley est le Bentayga Speed, le SUV qui ne sacrifie rien au confort et qui est pourtant le plus rapide au monde. Un vrai train à grande vitesse, pas obligatoirement bleu !

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