C’est aujourd’hui l’une des voitures de collection les plus désirées au monde. Soixante ans après sa naissance, elle reste le modèle absolu de Jaguar, dont l’aura n’a jamais été égalée par la suite. Voici l’histoire de la E-Type et la façon dont elle a bouleversé le petit monde de la voiture de sport.


Dans le courant des années 50, Jaguar est à son apogée. La marque est toujours dirigée par son fondateur sir William Lyons qui, alors qu’il n’a aucune formation dans le domaine, dessine personnellement la plupart de ses modèles. C’est donc à lui qu’on doit des designs aussi emblématiques pour Jaguar que celui de la E-Type, notamment celui des séries XK des fifties. Les XK valent à Jaguar une renommée mondiale, puisqu’elles établissent régulièrement des records de vitesse pour voitures de production. C’est, d’ailleurs, en Belgique que la première représentante de la famille, la XK120, inaugura cette « tradition ». En 1949, en atteignant la vitesse chronométrée de 219 km/h sur la route entre Ostende et Jabbeke, elle devient officiellement la voiture la plus rapide du monde. Et le restera durant six ans.

Née sur les circuits

Mais c’est surtout ailleurs, quelque part dans la Sarthe, que Jaguar construit sa légende. Entre 1951 et 1960, la marque remporte cinq des dix éditions des 24 Heures du Mans, rejoignant ainsi Bentley en tête du palmarès de la course. La voiture à battre est la Jaguar D-Type, qui s’impose en 55, en 56 et en 57. En 1957, elle occupe même cinq places du top 6, seule une Ferrari s’intercalant à la cinquième place. On peut le dire, cette légende de la compétition est techniquement bien née. Et bien qu’elle tire sa révérence officielle peu après sa dernière victoire, l’excellence de son ingénierie ne sera pas sans lendemain. Car chez Jaguar, on utilise les leçons de la D-Type pour élaborer ce qui ne tardera pas à être un des grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’automobile…

Glamour

Le 15 mars 1961, à la veille de l’ouverture du Salon de Genève, la presse est conviée à l’hôtel-restaurant du parc des Eaux-Vives, le long du lac Léman. Lorsqu’on y lève le voile sur la Jaguar E-Type, l’assistance est sous le choc. Avec son capot interminable, ses lignes simples et fluides, sa posture basse et large, sa poupe minimale et ce qui semble être un souci de l’aérodynamisme jusque-là inédit en dehors de la compétition, la voiture casse les codes de la voiture de sport tels qu’on les connaît alors. Dès le premier jour du Salon de Genève, le public lui réserve un tel accueil que Jaguar décide de mettre une seconde voiture sur son stand. Une autre E-Type prend donc la route depuis l’usine anglaise, à 1.000 km de là, et atteint Genève onze heures plus tard. A une époque où les autoroutes sont rares, faut-il le dire. Bref, la sensation est totale. « C’est la plus belle voiture jamais construite », dira un observateur. Et pas n’importe qui. Celui qui prononce ces mots est d’ordinaire avare en compliments et sait, en plus, de quoi il parle. Il produit lui-même déjà de prestigieuses sportives que s’arrachent têtes couronnées, stars du show-business et riches industriels. Celui qui parle ainsi de la Jaguar E-Type n’est autre qu’Enzo Ferrari !

Très vite, il devient évident qu’il n’est pas le seul à le penser, puisque la E-Type devient à son tour une coqueluche des aristocrates et de ce qu’on n’appelle pas encore les « people ». La Jaguar transpire la sensualité, le sex-appeal, qu’on la choisisse en coupé ou en Roadster. C’est « la » voiture dans laquelle on prend la pause devant les photographes ou que l’on conduit à Saint-Tropez, à Cannes ou à Monaco. Mais ce serait lui faire insulte que de réduire la E-Type à une pin-up. Car la beauté n’est pas la seule des qualités qui lui ont permis de transformer la façon de concevoir les voitures de sport…

Avant-gardiste

Rappelez-vous : la E-Type est la fille de la D-Type et à ce titre, elle a hérité d’une foule de solutions techniques utilisées pour la première fois, indépendamment ou simultanément, sur la route. En gros, la Jaguar est la première sportive « moderne ». Par exemple, elle n’est pas constituée d’un châssis basique sur lequel on a installé les éléments de mécanique et la carrosserie. Tout ou presque est un élément constitutif de sa structure et grâce à cela, elle est d’une légèreté jamais vue. Elle est aussi la première automobile de son genre à recevoir à la fois des freins à disques aux quatre roues, toutes également dotées de suspensions indépendantes. Ajoutez à cela un moteur six cylindres en ligne lui aussi issu de la compétition, capable de propulser la Jaguar E-Type à plus de 240 km/h, et vous comprendrez pourquoi la belle anglaise était capable de tenir la dragée haute à tout le gratin de la voiture de sport, de Ferrari à Aston Martin, en passant par Maserati.

Ayant donc établi que la Jaguar E-Type était diaboliquement belle, résolument moderne et redoutablement performante, nous n’en avons pourtant pas fini avec ses qualités. En effet, bien qu’elle fît jeu égal avec les meilleures voitures de son époque, la « Jag » les supplantait toutes, et de loin, sur un point : son prix. La E-Type était infiniment moins chère, coûtant parfois la moitié de ce qui était demandé pour certaines concurrentes.

Eternelle icône

La Jaguar E-Type sera produite jusqu’en 1975 et en quatorze ans de carrière, elle aura à jamais marqué les esprits, au point de devenir une icône qu’on espère sans cesse voir se réincarner. Rien que chez Jaguar, on retrouve dans l’histoire récente plusieurs modèles se revendiquant de sa descendance. Dans le cas de la XK (deux générations de 1996 à 2014), la référence esthétique était évidente. Et aujourd’hui, le flambeau est brillamment porté par la F-Type, moins proche physiquement de son aïeule mais plus fidèle à son concept de sportivité pure. D’autres artisans participent aussi à leur façon à l’immortalité de la E-Type. On peut citer Lyonsheart (rien que le nom est un hommage), qui habille des Jaguar récentes d’une robe vintage. Mais on retiendra, surtout, la société Eagle E-Type, spécialisée dans la restauration du modèle évidemment, qui propose également des exemplaires « neufs », intégralement reconstruits à partir de voitures donneuses et d’éléments modernes. Sublimes…

Continuation

Cela étant, qui mieux que Jaguar peut honorer la E-Type ? Elle l’a fait dans le cadre d’une récente tendance de l’automobile historique, les Continuation Cars, qui consiste à produire à l’identique, en utilisant composants et techniques de fabrication d’époque, des voitures dont quelques exemplaires prévus n’avaient pas été construits alors. C’est ainsi que Jaguar a produit les six dernières E-Type Lightweight (version légère destinée à la compétition) dont il était prévu en 1963 de construire dix-huit exemplaires. Ces six « nouvelles » voitures sont rigoureusement les mêmes, jusque dans le moindre détail, que les douze construites en 63-64. Elles ont toutes évidemment immédiatement trouvé acquéreur, au prix unitaire de plus d’un million de pounds.

Nous célébrons souvent dans ces pages des anniversaires du monde automobile. Mais rares sont les modèles qui méritent autant d’attention qu’une marque entière. Et parmi ces légendes, la Jaguar E-Type sera à jamais une des plus belles !

La C-Type a 70 ans

2021 sera décidément une année de célébrations pour Jaguar, puisqu’en plus des 60 ans de la E-Type, on honorera aussi les 70 ans de sa « grand-mère ». Naturellement moins connue que la E, la C-Type est probablement aussi importante pour les amoureux de la marque et de sport automobile. Nous le disions plus haut, la E-Type trouve ses racines dans la domination de Jaguar aux 24 Heures du Mans. Or celle par qui tout commence, c’est justement la C-Type qui, en 1951, sous le nom XK120-C, offre à la marque la première de ses sept victoires à l’épreuve mythique, dont cinq rien que dans les années 50. D’une certaine manière, on peut donc dire que la genèse de la E-Type a commencé avec la victoire de la C-Type. Et voilà pourquoi il était important de profiter de ces pages pour lui souhaiter, à elle aussi, un bon anniversaire.

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