Le 28 avril 1916, dans une petite ville d’Emilie-Romagne, un couple de viticulteurs donne naissance à un petit garçon. Son avenir est tout tracé : il reprendra l’exploitation familiale. C’est, du moins, ce qu’espère l’heureux papa, un certain M. Lamborghini.


Ferruccio Lamborghini grandit durant l’entre-deux-guerres et comme il est de coutume à l’époque, son paternel espère que, le temps venu, il dirigera la ferme familiale. Mais très tôt, le petit manifeste un intérêt certain pour la mécanique. Et s’il n’est pas encore vraiment accaparé par l’automobile proprement dite, Ferruccio consacre beaucoup plus de temps à imaginer des engins agricoles qu’à réaliser des travaux de ferme.

Maintenance d’avions

Le père Lamborghini finit donc par se rendre à l’évidence et autorise son héritier à poursuivre des études de mécanique dans un prestigieux institut de Bologne. Il obtient son diplôme en 1939 et l’année suivante, il intègre l’armée de l’air italienne en tant que mécanicien. Rapidement, son talent lui permet de gravir les échelons et Lamborghini se retrouve donc au poste de superviseur de la maintenance des avions et des véhicules stationnés sur l’île de Rhodes, où il est en poste. Après la guerre, et après avoir été « retenu » quelques mois par les Anglais, il rentre chez lui et se marie. Malheureusement, son épouse meurt en 1947, en donnant naissance à leur fils, Tonino.

Reconstruction 

Comme on le sait, l’Italie n’était pas du bon côté de l’Histoire durant la Seconde Guerre mondiale, et la reconstruction du pays s’annonce particulièrement laborieuse. Mais Lamborghini, qui construit déjà de petits tracteurs à partir de bric et de broc, a de la suite dans les idées. Il comprend que pour se reconstruire, le pays a besoin d’engins agricoles dignes de ce nom. Avec son talent pour démonter des objets afin d’en fabriquer de meilleurs, il anticipe tout ce qu’il pourra faire à partir des énormes stocks de véhicules militaires laissés après le conflit.

C’est ainsi qu’en 1947, il se lance à plus grande échelle et crée le Carioca, un tracteur qui utilise, entre autres, le moteur anglais Morris. Mais attention, il ne s’agit pas d’un simple tracteur « bricolé » : Lamborghini lui a donné une réelle valeur ajoutée. L’essence étant alors horriblement chère en Italie, il modifie carrément le moteur et lui ajoute un vaporisateur de carburant de son invention, qui permet de démarrer à l’essence, puis de passer au diesel, bien moins cher.

Et l’automobile ? On sent poindre quelque chose. Lamborghini possède alors une Fiat Topolino, voiture modeste s’il en est. Mais dans son temps libre, il la transforme, en fait un joli petit roadster et bidouille si bien son moteur qu’il participe à son volant à l’édition 1948 des Mille Miglia.

Fortune

La société Trattori Lamborghini est fondée en 1948. A la faveur de la loi Fanfani qui accorde des subsides aux agriculteurs qui achètent des machines fabriquées en Italie, l’entreprise va connaître une croissance exceptionnelle durant les années 50. D’un tracteur par semaine, la production passe bientôt à deux cents unités. La fortune de Lamborghini est faite, et l’homme adore dépenser son argent en achetant… des voitures ! Des Alfa Romeo, des Lancia, puis des modèles plus prestigieux encore comme une Maserati 3500 GT, une Jaguar E-Type ou encore une Mercedes 300 SL. Rien n’est trop beau, et Ferruccio possède par moments assez de voitures pour en conduire une différente chaque jour de la semaine.

Pendant ce temps, à quelques dizaines de kilomètres de là, un autre Italien développe, lui aussi, sa petite entreprise, et ses productions commencent à s’attirer les faveurs des riches et des personnes célèbres. Riche lui-même, c’est tout naturellement que Lamborghini s’offre à son tour… une Ferrari. Sa première acquisition est une 250 GT Pininfarina, et d’autres diverses 250 suivront. Ferruccio pense que les Ferrari sont de bonnes voitures, du moins sur le plan des performances, mais ne les trouve pas exemptes de critiques pour autant. Il les juge, par exemple, trop bruyantes et trop « brutes » pour être des routières. En gros, il les définit comme des voitures de circuit à peine civilisées, dotées d’intérieurs de qualité médiocre. Mais il leur reproche surtout la fragilité des embrayages. Lamborghini doit, en effet, souvent renvoyer ses voitures à Maranello pour les faire remplacer, et l’opération prend en général trop longtemps à son goût. Il va donc jusqu’à critiquer le service après-vente auprès d’Enzo Ferrari lui-même. Or le « Commendatore » n’était pas spécialement ouvert à la critique !

A partir d’ici, on distingue mal le vrai du faux. La légende dit, par exemple, que Ferrari aurait assez cavalièrement envoyé promener Lamborghini, lui disant un truc du genre : « Si tu crames les embrayages, c’est parce que tu ne sais pas conduire. Remonte sur ton tracteur et vaffanculo. » Ce langage n’est que pure supposition, évidemment. Ce qui est sûr, c’est que Lamborghini finit par se dire que personne ne pourrait construire la GT parfaite telle qu’il l’imaginait. Et c’est ainsi qu’il décide de la construire lui-même !

Cahier des charges

Pour Lamborghini, la GT idéale devait réunir une série de caractéristiques : des performances élevées, bien sûr, au moins égales à celles des Ferrari, mais aussi une réelle facilité de conduite, du confort et une présentation intérieure luxueuse et soignée. C’est avec ce cahier des charges qu’il se met au travail et commence par commander un moteur V12 à une société d’ingénierie dirigée par Giotto Bizzarini, un ancien de chez… Ferrari. La demande est claire : il veut un V12 né pour la route, pas un moteur de compétition retravaillé.

Cinq mois plus tard, le prototype est prêt. La Lamborghini 350 GTV est présentée au Salon de Turin 1963. La presse est emballée, le public apparemment un peu moins, si bien que la voiture réellement lancée un an plus tard – la 350 GT – affiche un design légèrement retouché par la Carrozzeria Touring. C’est un fait : la première Lamborghini réunit alors tout ce qu’il y a de plus raffiné dans le monde de l’automobile performante et est objectivement une meilleure GT, plus confortable, plus luxueuse et plus « conduisible » que les voitures de Maranello. Mais à ce niveau, l’image compte autant que le reste et faute de notoriété de la marque, la 350 GT n’est pas un énorme succès : cent vingt exemplaires produits. N’empêche : Enzo ne va pas tarder à sentir le danger et va commencer à soigner le luxe de ses voitures. Et puis, quelques années plus tard, arrive la véritable gifle…

La première Supercar

C’est en 1966 que Lamborghini gagne définitivement ses galons de constructeur de voitures de sport. Cette année-là, est dévoilée la sculpturale Miura, dont le design n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car dessous, elle est révolutionnaire. Pour la première fois, une voiture de ce genre reçoit le moteur non pas à l’avant mais en position centrale, juste derrière les occupants. Avec ses 290 km/h, la Miura est alors la voiture de route la plus rapide du monde. Bien sûr, Ferrari se gardera bien de manifester une quelconque admiration et balaie cette nouvelle architecture d’un revers de la main. Pour lui, les chevaux tirent l’attelage, ils ne le poussent pas. Pourtant, l’histoire donnera raison à Lamborghini : aujourd’hui, c’est bien au centre que les Ferrari (et autres marques) les plus radicales ont leur moteur.

Retrait des affaires

1974 est une année aussi faste que pénible pour Lamborghini, puisque la marque présente la spectaculaire Countach qui deviendra une icône des années 80 et installera l’image d’extravagance décomplexée de la marque. Mais c’est aussi en 1974 que Ferruccio quitte… Lamborghini.

Depuis 1971, les affaires vont mal. Diverses situations politiques difficiles de par le monde ont fragilisé Trattori Lamborghini et la crise pétrolière de 1973 fragilise à son tour la branche automobile. Ferruccio vend d’abord la marque de tracteurs pour sauver les voitures, puis il cède 51% de ses parts de la marque automobile. Mais rien n’y fait, le déclin se poursuit. De guerre lasse, il cède finalement toutes ses parts en 1974 et se retire des affaires.

En 1980, il tente un retour. La tentative est avortée mais il se dit que l’ébauche de son projet donnera effectivement naissance, même indirectement, à une sportive restée dans les annales : la Bugatti EB110.

Ferruccio Lamborghini meurt en 1993, terrassé par une crise cardiaque. Et sa dernière volonté fut respectée : le cortège qui l’emmena à sa dernière demeure était composé… de tracteurs Lamborghini.

Aujourd’hui, la marque Automobili Lamborghini conserve son cap gagnant. Elle poursuit sa modernisation sans renier son passé. Les ventes mondiales du premier semestre 2021 ont atteint un niveau record. « C’est la preuve que notre plan industriel conçu sur la voie de la future électrification a bel et bien été reçu », explique Stephan Winkelmann, l’actuel P.-D.G. de la marque au taureau.

Members Only freelance reporter

Comments are closed.