Voici l’histoire d’une marque automobile qui avait choisi pour emblème la déesse des métiers et des artisans et qui fit rayonner le savoir-faire belge à travers le monde. Voici l’histoire de Minerva !


Au tout début de l’automobile, nombre de marques ont suivi le même parcours. Comme pour Skoda et Peugeot, par exemple, l’histoire de Minerva commence sur deux roues, lorsqu’un jeune entrepreneur néerlandais, Sylvain de Jong, ouvre sa première boutique à Anvers.

Sur deux roues, d’abord

Ce natif d’Amsterdam a 23 ans à peine lorsqu’il s’installe dans notre cité portuaire et se lance dans le commerce de bicyclettes anglaises. Le succès est au rendez-vous mais il en faut plus à cet homme ambitieux. Il ne tarde donc pas à créer sa propre marque de vélos, Mercury Cycle, qui à son tour convainc un très large public. Pour on ne sait quelle raison, la marque est rebaptisée Minerva en 1897, et c’est là que l’histoire prend un virage décisif. Nous sommes à la fin du XIXe siècle, le monde se passionne alors pour tout ce qui est équipé de cette récente invention que l’on nomme « moteur à explosion ». En plus de ses vélos, Minerva crée et commercialise un moteur de moto. C’est ce moteur qui vaudra à Minerva son essor car il est la mécanique de choix d’une foule d’entrepreneurs désireux de se lancer dans l’aventure de la mobilité. Si bien que le constructeur belge devient bientôt le plus grand fournisseur de moteurs d’Europe. Curieusement, ce n’est qu’après avoir connu le succès avec ce moteur que Sylvain de Jong lance la construction sous licence d’une motocyclette suisse. En fait, l’homme vise déjà plus haut…

Sur quatre, ensuite !

Son objectif, c’est bien sûr l’automobile. La première voiture Minerva voit le jour en 1902. Pour développer cette activité, de Jong fonde à Londres la société anonyme Minerva Motors Limited et fait construire une usine flambant neuve à Anvers. Dès 1904, c’est une gamme complète que commercialise Minerva, dont la popularité est soutenue par plusieurs victoires dans les premières compétitions automobiles. La marque se construit une réputation. Elle est particulièrement appréciée dans des pays qui comptent pourtant leur lot de constructeurs locaux, comme la France et, surtout, l’Angleterre. Il faut dire qu’outre-Manche, Minerva emploie un directeur commercial très talentueux. Nous en reparlerons…

1908 est une année décisive pour Minerva. Cette année-là, Sylvain de Jong achète une licence exclusive mondiale pour un moteur créé par un ingénieur américain. C’est le moteur Knight, qui a la particularité d’être remarquablement silencieux et presque exempt de vibrations, et tranche donc avec les mécaniques pétaradantes de l’époque. Déjà d’un luxe inouï, les Minerva, désormais toutes équipées de ce moteur, offrent ainsi un confort largement au-dessus du lot. Des qualités qui leur valent de devenir les voitures de choix de la haute société. Les rois de Belgique, de Norvège et de Suède, des capitaines d’industrie comme Henri Ford lui-même, des artistes de renommée internationale : le gratin mondial ne se déplace qu’en Minerva, parfois pourvue d’une carrosserie fabriquée à l’usine même mais le plus souvent habillée par les carrossiers les plus en vue, comme le voulait alors l’usage parmi les clients fortunés. On peut le dire : Minerva était la Rolls-Royce de l’époque !

Vendues par… Rolls

D’ailleurs, on peut même affirmer que Minerva a inspiré Rolls-Royce. Et pour cause. Car il se trouve que le directeur commercial dont nous parlions plus haut était un certain… Charles Rolls. Oui, celui-là même. Il est donc facile d’imaginer que les qualités routières et le souci du détail qui caractérisaient les Minerva ont servi de référence à Rolls lorsqu’il lança sa propre marque de prestige avec l’ingénieur Henry Royce. Ces deux fleurons de l’industrie automobile seront donc par la suite rivaux, et le duel tournera souvent en faveur des voitures belges. Car si les modèles des deux marques présentaient des qualités rigoureusement similaires, les Minerva étaient toujours moins chères.

Le succès ne sera interrompu que durant la Première Guerre mondiale. L’usine anversoise est alors réquisitionnée par l’Allemagne, qui en fait un atelier de réparation de matériel militaire. Durant le conflit, de Jong est réfugié aux Pays-Bas, où il continue à développer ses voitures. La paix revenue, c’est une usine entièrement vide qu’il récupère. Qu’à cela ne tienne, il en profite pour l’équiper d’outils neufs, plus performants. Il relance la production et les ventes Minerva reprennent de plus belle. Toujours plus luxueuses et plus performantes, c’est maintenant l’Amérique que conquièrent les voitures belges, avec tout ce que cela comprend de stars du cinéma et d’industriels.

Triste fin

Rien ne semblait pouvoir arrêter Minerva, sauf… la Grande Dépression. Au début des années 30, les ventes déclinent de façon vertigineuse. Sylvain de Jong avait pourtant commencé à investir le segment des voitures populaires mais il s’y prit trop tard, et avec une voiture déjà considérée comme dépassée à sa naissance. En 1934, la belle histoire prend fin : Minerva est déclarée en faillite. Elle est reprise par un autre grand nom de l’automobile belge, Mathieu Van Roggen, alors patron de la marque liégeoise Imperia. Mais c’en est fini des Rolls à la belge. Minerva se contente désormais d’une de ses activités, lancée dans les années 10 : les véhicules utilitaires. Les plus vénérables de nos lecteurs se souviennent peut-être aussi du 4×4 Minerva, construit principalement pour l’armée belge et aussi un peu en version civile. En réalité, il s’agissait d’une Land Rover construite sous licence.

Sous les coups de boutoir de concurrents plus riches et plus puissants, Imperia dépose les armes à son tour. La faillite définitive est déclarée en 1958, et ce sont alors les deux derniers vrais constructeurs automobiles belges qui disparaissent.

Faux espoirs

En 2013, à la surprise générale, Minerva sort de l’oubli. Un site Web apparaît sur le Net, sur lequel est dévoilé un concept car époustouflant. La JM Brabazon, du nom de l’aristocrate anglais qui remporta des courses pour Imperia au début du XXe siècle, est une hypercar propulsée par une motorisation hybride rechargeable de 1.200 ch. Pas grand-chose à voir avec les limousines prestigieuses qui firent la gloire de Minerva mais, pourquoi pas ? du moment que revive la marque. Faux espoir… Vœu pieu d’une start-up automobile morte avant même de naître, comme il y en a eu tant ces dernières années.

Vous savez maintenant que la Belgique a été un pays qui a compté dans le monde de l’automobile de prestige. Et peut-être que désormais, vous ne verrez plus jamais une Rolls-Royce du même œil !

Members Only freelance reporter

Comments are closed.