Pour la première fois depuis la Deuxième Guerre, le tournoi de Wimbledon a été annulé, en raison de la pandémie de coronavirus. Un épisode inédit pour ce monument du sport britannique, né en 1877 et temple de la tradition made in England. Rendez-vous en 2021 pour se réimprégner des parfums magiques du sacro-saint gazon.


Le passionné de tennis se rend traditionnellement à Wimbledon comme en pèlerinage. Le cœur battant, des étoiles plein la tête. Un peu comme le golfeur lorsqu’il met le cap vers St.Andrews. L’endroit est, il est vrai, sacré. Théâtre du plus prestigieux tournoi de tennis du monde, le All England Club fait partie des monuments du sport britannique, comme les stades de Wembley ou de Twickenham.

En vérité, le tournoi de Wimbledon, officiellement baptisé The Championships, ne ressemble à aucun autre tant il dégage un parfum particulier à tous les étages. Il y a, bien sûr, le gazon des courts qui donne un petit air champêtre et bucolique aux allées. Mais il y a aussi – et surtout – cette tradition britannique dont il est imprégné jusqu’à la moelle.

A Wimbledon, n’en déplaise aux équipementiers sportifs ou aux joueurs excentriques, la tenue majoritairement blanche est de rigueur. Et pas question de déroger à la règle. On se souvient que le grand Roger Federer avait dû changer de chaussures parce qu’elles avaient des semelles orange ! Et tout est à l’avenant : durant la quinzaine du tournoi, il n’y a ainsi pas le moindre panneau publicitaire le long des courts. Exactement comme à l’Augusta National Golf Club, théâtre chaque année du Masters. Quelque part, les deux épreuves ont d’ailleurs de nombreux points communs dans la façon dont elles parviennent à résister aux changements et à conserver des coutumes d’un autre temps.

A Wimbledon, on ne joue ainsi toujours pas – sauf cas de force majeure – le premier dimanche du tournoi, officiellement pour laisser reposer le gazon. Il n’est pas davantage question de remettre le chèque du vainqueur devant le public. En vérité, le tournoi a sa propre étiquette, ancrée dans le passé. C’est invariablement le champion en titre qui dispute le premier match sur le Centre Court, le lundi à 14 h précises. Les finalistes ont, par ailleurs, droit à un valet pour porter leur sac sur le Center Court. Et c’est historiquement un membre de la famille royale qui remet les trophées aux lauréats.

Et puis, il y a mille et un petit détails qui différencient le Grand Chelem londonien des autres. Les têtes de série sont ainsi désignées par les membres du All England Club sans tenir totalement compte du ranking mondial. Les joueurs et joueuses sont également invités à se courber devant la tribune d’honneur en cas de présence d’un membre de la Cour.

Le croquet

Flash-back. Effet rétro. Tout commence en 1875 lorsque les dirigeants du All England Croquet Club décident d’ouvrir les portes de leur domaine à un sport nouveau, issu du jeu de paume : le tennis. Pour quelques pounds par an, les dirigeants du club louent une vaste prairie, sise à Wimbledon, entre Worple Road et une voie de chemin de fer. Occasionnellement, les joueurs de croquet se laissent donc tenter par ce nouveau jeu…

Et ça marche ! Les règles du tennis ne sont pas, à l’époque, scellées dans le marbre mais le concept global plaît. Et en 1877, pour renflouer les caisses du club, un championnat de tennis est organisé. Le tournoi de Wimbledon est né !
La première édition, réservée aux seuls gentlemen, accueille vingt-deux joueurs et à peine deux cents spectateurs. La finale oppose Spencer Gore, un champion de « Racket », à William Marshall, un spécialiste du jeu de paume. Le premier s’impose en trois sets grâce, dit-on, à un jeu très offensif et à de nombreuses montées au filet. L’ADN du jeu sur gazon…

Au fil des ans, le « Championship » évolue. En 1879, une compétition de double messieurs voit le jour et, en 1884, un tournoi féminin est, pour la première fois, organisé. La finale oppose les deux sœurs Watson et c’est Maud qui arrache la victoire face à Lilian. Un avant-goût des futurs duels entre Venus et Serena Williams…

En quelques années à peine, le tournoi a gagné toute sa légitimité. Connu et reconnu, il devient la référence en matière de tennis malgré la concurrence de l’US Open (créé en 1883). La Première Guerre mondiale interrompt logiquement l’essor de l’épreuve. Celle-ci reprend en 1919. Le tennis est, à l’époque, de plus en plus populaire. Pour répondre à cette passion grandissante, le tournoi déménage en 1922 à Church Road – son emplacement actuel – sur un site beaucoup plus vaste. Pour l’occasion, le All England Club décide d’adopter définitivement le nom de Wimbledon.

L’inauguration par le roi George V et la reine Mary du Centre Court, le 26 juin 1922, marque le début d’une nouvelle ère. Le stade propose 13.000 places et s’érige, d’entrée, en véritable temple du tennis. Recouvert de lierre, très classe, il inspire le respect. Chaque été, la bourgeoisie londonienne aime y élire résidence pour applaudir, avec une grande discrétion, les champions du moment. En 1932, ce sont plus de 200.000 spectateurs qui assistent ainsi au tournoi.

Coutumes et traditions

S’il a toujours respecté la tradition, Wimbledon a évidemment évolué avec le temps et les générations. Il fut ainsi le premier à accueillir, en 1968, des joueurs professionnels, ouvrant ainsi l’ère du « Tennis Open ».

En 1973, le tournoi fut menacé par le boycott de nombreux joueurs, fâchés de la suspension infligée par la Fédération Internationale au Yougoslave Niki Pilic qui avait refusé de disputer un match de Coupe Davis avec son équipe nationale. Malgré l’absence de nombreux champions, le public répondit en masse, témoignant ainsi au grand jour de son attachement à l’épreuve. Un amour qui n’a jamais faibli au fil des ans et qui a incité les organisateurs à toujours améliorer les infrastructures.

Aujourd’hui, le All England Law Tennis & Croquet Club compte dix-huit courts en gazon. Le Centre Court et le Court n°1 possèdent désormais un toit pour préserver les joueurs des fameuses averses londoniennes. Un projet d’agrandissement des infrastructures est en cours. Il a pour objectif d’annexer le parcours de golf voisin. Des négociations avec les propriétaires sont en cours. Pour l’heure, « seuls » 41.000 spectateurs peuvent assister, chaque jour, aux rencontres. C’est beaucoup mais insuffisant pour répondre à la demande, aussi bien des spectateurs que des partenaires de l’événement.

Jadis, on ne jouait jamais à Wimbledon le dimanche. Mais, sous la pression des télévisions, les traditionalistes ont fini par céder. Certes, il y a relâche le premier dimanche de la quinzaine. Mais la finale masculine est désormais programmée le deuxième dimanche. Exactement comme au British Open de golf qui, lui aussi, se termine dorénavant « on Sunday ».

Ce qui ne change pas, en revanche, c’est l’ambiance. L’atmosphère. Ces sont les files, longues comme un jour sans thé, aux portes du stade pour acheter les derniers tickets mis en vente ; ce sont ces dames aux chapeaux fleuris qui remplissent les loges ; ce sont ces fraises à la crème fraîche que l’on déguste dans les allées entre deux matches. Et c’est, bien sûr, ce public si particulier, passionné et connaisseur, qui peut passer des heures, stoïque, sous le crachin londonien. Certes, au fil du temps, le profil des spectateurs a changé. Autrefois, on entendait les mouches voler dans les tribunes du Centre Court. Ce n’est plus toujours le cas aujourd’hui avec un public plus dissipé, plus bruyant, parfois même antisportif.  En finale l’an passé, Novak Djokovic a même été sifflé par des énergumènes qui n’avaient d’yeux que pour Roger Federer. Mais, dans l’ensemble, le légendaire flegme britannique est toujours de rigueur.

En fait, Wimbledon ne se raconte pas. Il se vit. Un peu, beaucoup, à la folie. C’est une institution, presque un lieu de culte. Ce n’est pas un hasard si la famille royale y a toujours élu résidence durant l’été, histoire de communier avec son peuple dans un écrin magique, tout de vert habillé.

Les plus grands champions

Il faudrait un livre, voire une bibliothèque, pour évoquer tous les grands moments de l’histoire du tennis qui ont eu lieu sur ce sacro-saint gazon londonien. La plupart des légendes ont accroché le titre à leur tableau de chasse. René Lacoste, Fred Perry, Rod Laver, John Newcombe, Björn Borg, John McEnroe, Jimmy Connors, Andre Agassi, Pete Sampras, Rafael Nadal, Novak Djokovic et, bien sûr, Roger Federer figurent au palmarès masculin. Suzanne Lenglen, Maureen Connolly, Billie Jean King, Chris Evert, Martina Navratilova, Martina Hingis, Steffi Graf et les sœurs Williams ont soulevé le trophée côté féminin.

Le livre des records retient que, chez les hommes, c’est Roger Federer qui détient le plus grand nombre de victoires en simple. Le Suisse a remporté la bagatelle de huit éditions. Côté féminin, c’est Martina Navratilova qui détient le record avec neuf triomphes en simple entre 1978 et 1990.

Le match le plus long de l’histoire du tournoi a tenu la planète tennis en haleine durant 11 heures et 5 minutes ! Il opposa, en 2010, l’Américain John Isner au Français Nicolas Mahut. Au terme d’un duel improbable, le géant US s’est imposé 70-68 dans le dernier set. Hallucinant. La partie la plus courte dura, en revanche, 22 minutes à peine. C’était en 1922 lorsque la Française Suzanne Lenglen domina sa rivale Mallory.Haut lieu du sport mondial, le Centre Court a été le théâtre de nombreuses rencontres mémorables. Nul n’a oublié la fabuleuse finale qui opposa, en 1980, Björn Borg à John McEnroe. Le tie-break du quatrième set, remporté 18-16 par le gaucher américain, dégageait une incroyable intensité dramatique. A l’arrivée, c’est le Suédois aux nerfs d’acier qui s’imposa en cinq manches.

La finale de 2008 entre Rafael Nadal et Roger Federer a également marqué les esprits. Au terme d’une lutte fratricide, dans ce qui fut sans doute le plus beau match de tennis de l’histoire, le gaucher espagnol arracha une victoire épique en cinq sets, alors que la lumière commençait à faire défaut.

La finale de l’édition 2019 entre Novak Djokovic et ce même Roger Federer a également atteint des sommets d’émotion. Le Suisse a bénéficié de deux balles de match mais, in fine, c’est son rival qui s’est imposé après cinq heures d’un choc titanesque terminé avec un super-tie-break venu de nulle part.

Souvenirs, souvenirs. Certains rabat-joie trouvent Wimbledon un peu vieillot. D’autres ironisent sur son règlement si particulier ou sur ses traditions ancestrales. Mais ils sont les premiers, cette année, à regretter l’annulation de l’événement. En 2021, le plus grand tournoi du monde aura 144 ans et aura toujours des allures de jeune homme !

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