C’est un nom magique qui résonne, de génération en génération, dans les oreilles des petits et des grands ! A Knokke, Siska est une institution. Retour sur une histoire pas comme les autres.


Ce jour-là, Louis et son épouse, Fransisca, ne travaillent pas. Ils ont décidé de s’offrir une excursion aux Pays-Bas, ce qui, en 1882, représente un petit périple, même si, de Knokke où ils habitent, la frontière est proche. Au cours de cette balade, ils tombent en admiration devant un tableau. Est-il particulièrement beau, émouvant, bouleversant ? Sans doute que non. Ce qui retient l’attention du couple, et en particulier de la dame, c’est le gaufrier à quatre cœurs figurant sur la toile.

Rentrée chez elle, elle commande une réplique, à peu près conforme, de l’objet découvert dans le pays voisin. Toutefois, le sien possède cinq cœurs. Dès qu’elle réceptionne l’ustensile, Fransisca s’en sert, essentiellement pour les anniversaires de ses nombreux enfants. A l’occasion de l’un d’eux, un notaire d’Anvers de passage à Knokke découvre les gaufres et les trouve succulentes. Il demande à la fabricante si elle ne pourrait pas en fournir pour l’anniversaire de sa propre progéniture. Fransisca n’a jamais pensé faire de ses gaufres un commerce mais elle accepte. La qualité de la dégustation est telle que d’autres clients ne tardent pas à se manifester. Sans le savoir, Fransisca vient d’emprunter les chemins de la postérité dans une certaine sérénité qui, autrefois, avait été à diverses reprises brisée. Retour en arrière.

Le destin de Fransisca

1860. Fransisca Fincent épouse François Defonseca. Ils acquièrent un terrain à Knokke et font bâtir une maison qui sera aussi une auberge. Modeste. Les visiteurs peuvent apercevoir un peu plus loin des poules, des moutons et des vaches. Quelques années plus tard, en 1872, un moulin vient compléter la propriété. L’ensemble conjugue diverses activités qui attirent du monde.

Fransisca s’occupe des commandes de pains, souvent à peine sortis du four, de cafés et de bières, tout en ayant toujours l’œil sur les cinq enfants que François lui a donnés. Hélas ! le 28 décembre de cette même année, le mari décède brutalement, laissant sa famille dans le désarroi.

Fransisca doit réagir vite si elle ne veut pas assister au déclin de son affaire. Pour l’assister, elle trouve un meunier, Felix Vandeputte, qui lui passe rapidement la bague au doigt. Pourtant, le malheur la poursuit car, deux années seulement après la célébration des noces, elle-même suivie de la naissance de deux têtes blondes, Felix meurt.

Fransisca se met à nouveau en quête d’un gars pouvant faire tourner à la fois le moulin et la boutique. Ce sera Louis De Vos. Quand il arrive chez Fransisca, il a déjà pas mal roulé sa bosse. Pour l’époque, il apparaît même comme un grand voyageur. Il a successivement appris la boulangerie et le français à Bruxelles, travaillé comme meunier dans le nord de la France avant de s’embarquer à bord d’un voilier en direction des Etats-Unis.

Il n’avait, alors, pas une idée précise de ce qu’il voulait tenter de l’autre côté de l’Atlantique. Le destin se chargea de l’orienter.

Durant la très longue et mouvementée traversée, de riches Américains furent pris d’un violent mal de mer. Louis, qui, lui, avait le pied marin, les soigna et s’attira leur sympathie. Une fois sur le sol américain, ses compagnons lui proposèrent de l’embaucher. Louis se fixa chez eux et en éprouva de vives satisfactions.

Mais l’envie de revoir la côte belge finit par le gagner. C’est en réalité une lettre émanant de Knokke qui la suscita. Elle l’informait que Fransisca Fincent venait encore de tomber veuve et que son moulin avait besoin d’un homme d’expérience.

Louis n’hésita pas une seconde. Il annonça à ses hôtes qu’il partait, fit son baluchon et rejoignit la Belgique. Lorsqu’il parvint à Knokke, Fransisca attendait toujours l’être providentiel. Ce fut lui.

« Moeder Siska »

Les dix enfants qui s’amusent autour de Louis et de Fransisca n’appellent plus cette dernière que « Moeder Siska ». A telle enseigne que, dans le voisinage et dans la clientèle, le surnom s’installe. Il faut dire qu’ils sont de plus en plus nombreux à venir le week-end rendre visite à la famille De Vos. La réputation de ses gaufres, saupoudrées de sucre fin, garnies de beurre ou de crème Chantilly et plus minces que celles de Bruxelles, a dépassé les limites géographiques de Knokke. Pendant dix ans, la plantureuse Flamande (135 kg kilos) reçoit sur réservation.

La prospérité aidant, les cinq aînés de Fransisca ouvrent un établissement, « Chez les enfants de Siska ». C’est alors que la « moeder » perd son troisième mari… Et que la guerre de 1914 éclate. Knokke est occupée. La mère Siska ne profitera pas de la paix retrouvée. En septembre 1918, âgée de 76 ans, elle rend le dernier soupir, victime de la grippe espagnole.

Peu avant le premier conflit mondial, Marie, l’une des filles, était devenue Mme Petrus Dossche. Le couple avait acheté un terrain à la drève du Zoute dans le but de construire le troisième établissement : « Marie Siska ». Il y aura par la suite « Gustave Siska », puis un autre « Siska », à Saint-Idesbald.

« Siska » a été l’un des trois piliers, avec le « Grand Hôtel de Knokke » – qui contenait trois cents chambres –  et la Compagnie du Zoute, du développement du tourisme et de l’économie de cette jolie partie de la côte belge.

L’élan est cassé en 1940. Les Allemands débarquent chez « Marie Siska » et réquisitionnent son domaine. La plaine de jeux adjacente à l’auberge sert à entreposer des matériaux pour bâtir des bunkers au Zwin. Quant au bâtiment, il sert d’hôpital.

Urbain, le fils de Marie, est expédié en Allemagne afin de travailler dans un hôtel de Baden-Baden. La guerre terminée, c’est au tour de Marie, atteinte de leucémie, de disparaître. Mais, comme autrefois, la relève est assurée et la saga continue. Siska devient carrément une institution incontournable et ses légendaires gaufres font, à l’heure du goûter, les délices de toutes les générations.

Au fil des années, les activités Siska se sont concentrées sur un seul site, celui inauguré par Marie. Le premier, là où tout a démarré, n’existe plus. Ce sont des villas qui y ont poussé. Les autres affaires ont été cédées et n’ont plus rien à voir avec les descendants de la pionnière.

Mais en 2021, la magie Siska continue via son hôtel ainsi que ses deux restaurants, jardins et terrasses totalisant mille places !

Et les gaufres se dégustent toujours avec le même plaisir. Leur recette n’a jamais été écrite. Les plus beaux secrets sont aussi les mieux gardés.

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