Champion brillant et charismatique, Phil Mickelson, qui vient de fêter ses 50 ans, a souvent souffert de la comparaison avec Tiger Woods. Portrait d’un joueur qui a marqué, de son talent, toute une génération.


C’est l’un des joueurs les plus flamboyants de l’histoire du golf. L’un des plus doués et l’un des plus populaires, aussi. Aux yeux de nombreux observateurs, Phil Mickelson n’a peut-être pas un palmarès à la mesure de son talent. A son tableau de chasse, on comptabilise cinq sacres en Grand Chelem (trois Masters, un British Open et un PGA Championship), 27 Top 5 dans les Majors et douze participations à la Ryder Cup et à la Presidents Cup. Mais, avec un peu plus de réussite, il se serait probablement constitué un CV bien plus étoffé.

Curieusement, cette course aux performances n’a jamais été la priorité absolue du plus célèbre gaucher de sa génération, épicurien dans l’âme. De son propre aveu, « Lefty » a toujours été guidé par le plaisir du jeu. Certes, comme tout champion américain, il a été nourri au biberon de la gagne. Et lorsqu’il dépose sa balle sur le tee n°1 d’un tournoi, c’est avec l’ambition de gagner. Mais il accepte, mieux que d’autres, les défaites, fussent-elles injustes. C’est ce qui le différencie le plus de son « meilleur ennemi » Tiger Woods, pour qui seule la victoire compte.

Enfant de la balle

Phil Mickelson est né le 16 juin 1970, à San Diego. Il grandit aux côtés de ses parents, Philip et Mary, de sa sœur aînée Tina et de son petit frère Tim. Pilote de profession, papa Mickelson pratique le golf avec passion durant ses loisirs. Et le petit Phil se pique rapidement au jeu. Dès l’âge de 2 ans, il s’adonne ainsi aux joies du swing en imitant le mouvement de son paternel, comme s’il s’agissait d’un miroir. C’est ce qui explique que, droitier dans la vie courante, il est gaucher sur les fairways !

« Young » Mickelson a, d’entrée, le golf dans la peau. A 9 ans, après avoir assisté, subjugué, à la victoire de Severiano Ballesteros au Masters d’Augusta, il lance à son papa : « Un jour, je le gagnerai aussi, ce tournoi… »

Ses parents tempèrent son ardeur et ses ambitions, lui rappelant que les études sont prioritaires. Le gamin se débrouille d’ailleurs plutôt bien et ramène de bons bulletins du lycée de San Diego, puis de la Catholic High School. Il excelle notamment en physique quantique, une matière qui en dit long sur son niveau intellectuel. Mais ses cartes de score sont encore plus brillantes. Amateur, il collectionne les titres chez les juniors. Et son talent interpelle déjà tous les coachs. Avec ses wedges, il signe notamment des coups improbables et magiques qui lui permettent de se tirer de toutes les situations.

Dans ce contexte, à 18 ans, il obtient logiquement une bourse et intègre l’Arizona State University où il combine études en psychologie et golf de haut niveau. Trois titres individuels dans le championnat NCAA et trois Haskins Awards récompensent ses prestations. Parallèlement, en 1990, il s’offre l’US Amateur, le sacre suprême. Mieux : l’année suivante, avec ce même statut d’amateur, il remporte son premier tournoi du PGA Tour à Tucson, où il avait bénéficié d’une wild card ! 

Son destin est tracé. En 1992, son diplôme universitaire en poche, il décide de franchir le cap et de se lancer dans la carrière professionnelle. « A star is born. » 

Le complexe Tiger

Le succès est aussitôt au rendez-vous. Dès 1993, il s’offre ses deux premiers titres pros. Et l’Amérique, conquise, en fait d’entrée son enfant chéri. A la fois pour son charisme naturel et ses airs de gendre idéal. Mais aussi – et surtout – pour son sens inné du beau jeu et du spectacle. « Lefty », comme on le surnomme, symbolise le golf champagne, pétillant et rafraîchissant. Il tente – et réussit – des coups d’un autre monde, notamment autour des greens où ses approches lobées avec son 64° deviennent vite sa marque de fabrique. Sa jeunesse flamboyante fait le reste dans un sport qui, à l’époque, dégage toujours un petit parfum vieillot, même aux Etats-Unis.

Porté par ce talent brut comme le diamant, Mickelson brûle les étapes. En 1994, on le retrouve déjà à la 22e place du ranking mondial et, en 1996, grâce à quatre titres sur le PFGA Tour, il fait son entrée dans le top 10. Mais, bizarrement, lors des tournois du Grand Chelem, la musique est différente. L’artiste collectionne les places d’honneur mais il ne gagne pas. Lorsqu’en 1997, le jeune Tiger Woods remporte son premier Masters, Mickelson, de cinq ans son aîné, n’a ainsi toujours déposé aucun trophée majeur dans sa vitrine. Et ce n’est que le début d’une véritable malédiction.

Toujours placé mais jamais gagnant, le Californien se forge vite une réputation de « meilleur joueur du monde sans titre majeur ».

Et la comparaison avec Tiger devient chaque jour plus lourde à porter. Là où « Le Tigre », dominateur, additionne les succès à un rythme effréné, Mickelson se contente des podiums et hérite d’une étiquette de « Poulidor des greens ».

Positif, il jure ses grands dieux que tout cela n’est pas bien grave. « Je pratique mon sport à ma façon. Terminer premier n’est pas nécessairement le plus important », sourit-il. L’Amérique a pour lui les yeux de Rodrigue pour Chimène. Quelque part, il est plus populaire que Tiger. Comme Arnold Palmer était préféré à Jack Nicklaus. Mais, à l’heure des comptes, il ne tient pas la comparaison. Et forcément les deux champions, qui ne s’apprécient que modérément, sont sans cesse comparés…

Délivrance à Augusta

Lors de l’US Open de 1999, Phil croit avoir son premier sacre dans le viseur. Mais il échoue, in fine, à un petit coup de son grand pote Payne Stewart, qui décédera un peu plus tard lors d’un tragique accident d’avion.

Il devra finalement attendre 2004 pour, enfin, vaincre le signe indien et gagner son premier Grand Chelem lors d’un Masters inoubliable. On crut longtemps qu’Ernie Els allait, derechef, le priver de sa première « greenjacket ». Mais, grâce à un fabuleux birdie sur le dernier trou, « Lefty » arrache, à 34 ans, la victoire tant attendue dans une ambiance de liesse collective. Heureux comme un gosse, le lauréat dédie son succès à son épouse Amy qui, un an plus tôt, avait failli perdre la vie en accouchant de leur fille Evans. Phil et Amy se sont rencontrés sur les bancs de l’université et ne se sont jamais plus quittés.

Phil est, de fait, un grand sentimental qui fait toujours passer sa famille avant toute chose. Lorsqu’en 2009, quasiment au même moment, sa femme et sa mère sont atteintes d’un cancer du sein, il quitte aussitôt le circuit et envisage d’arrêter carrément sa carrière. Il ne reprendra le chemin des greens que lorsqu’elles seront sauvées.

Cette victoire de 2004 à Augusta sert, en tout cas, de déclic dans la tête de Mickelson, un peu comme s’il était, enfin, devenu crédible aux yeux de l’histoire. Comme s’il avait, enfin, conquis une légitimité de champion. Dans la foulée, il s’offre le PGA Championship de 2005, puis deux autres Masters, en 2006 et en 2010. Cerise sur le gâteau :  en 2013, il remporte le British Open sur le links écossais de Muirfield. Au sommet de son art, il revient de nulle part et, grâce à une carte de 66 le dernier jour, il coiffe sur le poteau tous ses adversaires, Tiger Woods compris.

A l’analyse, il ne manque donc qu’une victoire à l’US Open pour permettre à « Lefty » d’entrer dans le cercle très fermé des joueurs ayant remporté les quatre Majors. Pour rappel, ils sont cinq à avoir réussi cet exploit : Gene Sarazen, Ben Hogan, Gary Player, Jack Nicklaus et Tiger Woods.

Plusieurs fois, Phil a eu le trophée au bout des bras lors de cet US Open. Les statistiques sont à peine croyables : à six reprises, il a terminé le tournoi à la deuxième place. On a déjà évoqué l’épisode de 1999 à Pinehurst où Payne Stewart le priva du titre. Mais il hérita de cette même position en 2002 à Bethpage, en 2004 à Schinnecock Hills, en 2006 à Winged Foot, en 2009 à Bethpage encore et en 2013 à Merion. Chaque fois, il échoua d’un fifrelin, comme si d’une malédiction il s’agissait.

Tourné vers l’avenir

Pour la première fois depuis 1993, Phil Mickelson ne fait plus partie, aujourd’hui, du top 50 mondial. Mais à 50 ans, il n’a pas dit son dernier mot. Dans l’absolu, il pourrait désormais s’offrir une fin de carrière confortable sur le Champion’s Tour, réservé aux seniors. Avec une fortune colossale (évaluée à près d’un milliard de dollars) et de nombreux investissements (notamment dans le golf), il pourrait même privilégier une retraite dorée. Mais ce n’est pas le genre de la maison.

Bon pied bon œil, il est toujours capable de tous les exploits. A ce jour, il compte quarante-quatre titres sur le PGA Tour. Et il sait parfaitement qu’il peut encore augmenter son butin, notamment sur des parcours qu’il maîtrise parfaitement comme l’Augusta National. Ce n’est pas un hasard s’il faisait toujours partie de l’équipe US de Ryder Cup en 2018 au Golf National. Avec douze participations, il est d’ailleurs le joueur américain le plus capé dans l’épreuve.

Nul ne sait quel serait aujourd’hui le tableau de chasse de « Lefty » s’il n’avait partagé la même génération que Tiger Woods. Il est évident que, par sa toute-puissance, « Le Tigre » a privé son compatriote de bien des lauriers. Jamais, par exemple, Mickelson n’a pu s’asseoir sur le trône de numéro un mondial alors qu’il a fréquenté le top 10 mondial durant sept cents semaines. Mais qu’importe ! Les deux hommes ont écrit, ensemble, quelques-unes des plus belles pages de l’histoire du golf, un peu comme Federer et Nadal en tennis.

L’un et l’autre ont des personnalités diamétralement opposées. Tiger est un compétiteur pur, souvent glacial, qui a longtemps vécu dans une tour d’ivoire. Phil est, au contraire, un hédoniste communicateur qui signe des autographes et va sans cesse à la rencontre du public. Logiquement, cela a créé des divergences et n’a pas toujours généré une folle ambiance de copinage ! On se souvient de la Ryder Cup où, dans le même team, les deux champions se parlaient à peine. Mais leur relation, longtemps tendue comme une corde à linge, s’est apaisée avec le temps. Désormais, les deux légendes sourient ensemble sur les parcours.

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