Il était une fois… Non, l’histoire de la famille Nagelmackers n’est pas un conte de fées. Même si elle en a parfois la féerie, avec de multiples épisodes rocambolesques, la banque garde un cap gagnant depuis plus de 275 ans.


Quand on relève le pari un peu fou de raconter l’histoire de la famille Nagelmackers, on a l’habitude de commencer par la première pierre de ce qui reste à ce jour la plus ancienne banque de Belgique. On remonte alors en 1747, dans la cité des prince-évêques de Liège, peu avant la Révolution française durant laquelle la banque fut d’ailleurs saccagée et ses coffres pillés.

D’une révolution à l’autre !  Vers 1830, l’héritier de la lignée des banquiers liégeois, Gérard-Théodore Nagelmackers, est déjà devenu un homme d’affaires incontournable et prend part notamment à l’expansion des usines Cockerill. Parallèlement, il joue un rôle important dans le processus d’indépendance de la Belgique naissante et participe même à la rédaction de la Constitution.

C’est une quinzaine d’années plus tard, en 1845, que cette famille de banquiers et entrepreneurs déjà reconnus donne naissance, sans le savoir, à celui qui allait devenir un des premiers visionnaires de l’espace européen sans frontières. Envoyé à 22 ans aux Etats-Unis par son père Edmond pour s’ouvrir l’esprit, Georges Nagelmackers, fraîchement diplômé ingénieur des mines de l’Université de Liège, trouve là-bas le moteur de toute sa vie d’entrepreneur : ébaucher l’idée de l’Orient Express, autrement dit initier le transport ferroviaire transcontinental de personnes sans rupture de charges et avec un confort et un luxe inégalés. Une véritable révolution pour l’Europe de l’époque.

Le train de tous les rêves

La Guerre de Sécession (1861-1865) venait tout juste de se terminer. Et le train au long cours, comme l’avait rêvé et le mettait alors déjà en œuvre Georges Mortimer Pullman outre-Atlantique, allait devenir un des outils les plus efficaces de la longue réunification des États américains divisés par les combats fratricides.

C’est en sleeping-cars (voitures-dortoirs) Pullman que Georges Nagelmackers parcourt la plupart du temps les états fraîchement réunis par le chemin de fer. Et le jeune entrepreneur revient en Europe des rails pleins la tête, avec l’idée de reproduire en mieux le concept de Pullman. Un vrai défi.

L’héritier Nagelmackers fait rapidement le triste constat que l’infrastructure ferroviaire et les clivages politiques de l’époque ne permettent pas encore l’émergence de ses idées. Sans abandonner son projet, il entre alors dans les affaires familiales qui comprennent notamment l’exploitation de mines et de hauts-fourneaux en région liégeoise (Houillères réunies de Cheratte), le long de la Vesdre et au Luxembourg.

Parallèlement, il obtient néanmoins une première concession stratégique l’autorisant à faire circuler une voiture d’Ostende à Brindisi (Italie). Et en 1870, il couche son rêve sur papier et publie son Projet d’installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent… auquel la guerre franco-allemande de 1870 vient rapidement mettre un nouveau coup de frein. C’est alors qu’il entreprend une première croisade auprès des financiers et des hommes politiques pour déminer le terrain et trouve rapidement en la personne du roi Léopold II un ambassadeur, tant sur le plan financier que sur le plan diplomatique.

Les premiers jalons

Deux ans plus tard, il fonde à Liège la Compagnie de Wagons-lits. Au lieu d’un couloir central avec les lits disposés de chaque côté et séparés par des tentures, son modèle de voiture initie les compartiments privés en dur. Les premières autorisations d’exploitation mises en service en 1873 relieront Ostende à Berlin, puis Paris à Vienne et connaîtront un succès d’estime immédiat, même si ces premières expériences commerciales sont, comme on peut s’en douter, des fiascos financiers.

Assez rapidement, la compagnie dispose de 53 voitures-lits destinées à être accouplées à des trains « ordinaires ». Le premier wagon-restaurant est mis en service en 1882 et comprend deux salles à manger distinctes comptant chacune 12 places assises.

Le 4 octobre 1883, le premier train totalement équipé par Georges Nagelmackers — l’Orient Express — quitte la gare de l’Est à Paris. Seuls la locomotive et le tender ne lui appartiennent pas. Le périple de plus de 3.000 kilomètres mène à Constantinople (Istanbul), alors toujours capitale de l’Empire ottoman, mais au prix d’un fastidieux trajet, d’abord depuis Bucarest, puis en bateau depuis Varna (Bulgarie).

Non content de transporter les voyageurs dans des conditions de confort inégalées, Georges Nagelmackers ajoute une pièce du puzzle indissociable de son projet : leur confort une fois arrivés à destination. Il fonde ainsi la Compagnie Internationale des Grands Hôtels dont le catalogue contiendra notamment le « Pera Palace » de Constantinople. La première chaîne hôtelière internationale vient de voir le jour, tout simplement…

Du rêve à la réalité

En 1884, la société est pompeusement rebaptisée Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens. Elle dispose alors déjà de 22 accords, 16 liaisons régulières et exploite 53 voitures, dont 2 entre Londres et Douvres, en concurrence avec Pullman. Outre le confort offert, la vitesse fait le renom de la marque : le trajet de Paris à Vienne prend alors 27 heures 53, soit 10 heures de moins que les meilleures liaisons ferroviaires classiques. Et le 1er juin 1889, le dernier verrou évitant tout transbordement entre Paris et Constantinople tombe : l’Orient Express rejoint sa destination finale d’une traite en 67h35, soit un gain de 14 heures.

Dès 1906, le tunnel du Simplon (19km), le plus long d’Europe à l’époque, donne naissance au Simplon Orient Express et ajoute Venise aux destinations phares d’alors. Suivront Saint-Pétersbourg et Moscou pour progressivement tracer la mythique ligne transsibérienne.

Lors de l’exposition internationale de Liège, en 1905, Georges Nagelmackers, alors au faîte de sa gloire, peut encore baptiser la millième voiture-lits et la voiture-restaurant n°999.

Il est alors connu et reconnu dans la plupart des pays avec lesquels il a noué des relations commerciales et où il a été bardé de titres honorifiques.

Il meurt le 10 juillet 1905, exténué avant l’heure, à l’âge de 60 ans. Ses obsèques sont célébrées à Villepreux, près de Paris, où il a élu domicile, mais son corps est transporté à Angleur pour être inhumé au cimetière de la Diguette, ancienne propriété des Nagelmackers qu’un autre Liégeois de bonne souche, Walthère Frère-Orban, avait fait racheter en 1864.

Les affres des guerres

En août 1914, le trafic international est brutalement interrompu par la guerre et le charroi réquisitionné pour déplacer rapidement les troupes et le matériel. Quatre ans plus tard, un nouveau coup dur met à genou le projet commercial de Georges Nagelmackers : les Bolcheviques nationalisent les propriétés de la Compagnie des Wagons-Lits en Russie, dont 161 voitures-lits, des ateliers et des hôtels.

Un wagon-restaurant va pourtant s’illustrer durant cette période sombre pour la Compagnie belge : la 2419D. Typique de cette époque et composé d’une caisse en bois de teck verni sur châssis métallique monté sur bogies (essieux révolutionnaires), il sera choisi par le maréchal Foch et quelques hauts gradés français pour y installer le quartier général mobile des armées. Le 11 novembre 1918, l’armistice y sera signé dans la clairière de Rethondes, près de Compiègne ; désormais rentrée dans l’Histoire, la voiture restera exposée dans la cour des Invalides à Paris, sous les intempéries, ce qui la détériora. Elle sera restaurée en 1927 grâce à l’intervention d’un mécène américain, Arthur Flemming, puis détruite par les Allemands en 1945.

L’âge d’or des trains de luxe

Entre 1918 et 1940, les services reprennent, mais beaucoup de matériel a été détruit. Le traité de Versailles prévoit que dorénavant l’Orient Express passera par l’Italie grâce au tunnel du Simplon et par Venise, pour rejoindre ensuite Belgrade et son itinéraire habituel. Les alliés souhaitent, en effet, éviter la traversée de l’Allemagne et de l’Autriche, pays jugés peu sûrs, tout en jouant la carte de la réunification européenne.

Les années 20 voient l’arrivée d’un matériel révolutionnaire enfanté par l’expertise du travail de l’acier sous nos latitudes : les voitures sont entièrement métalliques et une nouvelle livrée bleu nuit rehaussée de filets jaunes les habille. La décoration intérieure monte encore d’un cran, avec des luminaires Lalique et des marqueteries exceptionnelles. C’est l’âge d’or de ces trains de luxe qui attirent une clientèle riche, avide de nouveaux plaisirs et de découvertes de territoires exotiques. Le réseau s’étend alors en Turquie et jusqu’au Caire. Et sur le marché plus fonctionnel, on peut dès 1936 voyager de Londres à Paris sans plus changer de voiture, grâce au Night Ferry qui transporte le train sur la Manche. Autres temps…

Aujourd’hui, le Venice Simplon Orient-Express, ressuscité par James Blair Sherwood, le propriétaire de la société Sea Containers et des mythiques hôtels Belmond et Cipriani, propose un itinéraire entre Londres et Venise, en passant par Bruxelles et Paris.

Avatars bancaires

En 1910, la banque Nagelmackers, établissement de dépôt reconnu, devient également une banque d’affaires et participe activement à la création d’entreprises de renom comme la Géomines (Congo), Pieux Francki ou Socol. Soixante ans plus tard, entre 1970 et 1978, Nagelmackers Fils & Cie, société en commandite simple depuis 1910, rachète trois autres banques et rebaptise l’ensemble du groupe Banque Nagelmackers 1747.

En 1990, celle-ci est scindée en deux entités. Peu après la scission, la BNP lance une offre publique d’achat sur les deux sociétés et détient quatre ans plus tard 99% du capital. C’est à ce moment que P&V rachète à son tour la banque belge… juste avant qu’elle intègre elle-même la banque d’épargne CODEP, elle aussi sous coupole P&V. Baudouin, le dernier membre de la famille historique toujours actif, se retire alors.

En 2001, c’est au tour du groupe néerlandais Delta Lloyd de s’offrir la plus ancienne banque belge, tout comme deux autres concurrentes flamandes (Bankunie et Bank van Limburg).

En 2005, après plusieurs restructurations et 258 ans d’existence, Banque Nagelmackers 1747 disparaît carrément du paysage pour une dizaine d’années.

Entretemps, le groupe Delta Lloyd finalise la revente de son pôle bancaire au groupe d’assurances chinois Anbang Insurance Group Ltd. C’est le 5 octobre 2015, à l’initiative de son nouvel actionnaire chinois, que le nom Nagelmackers renaît. Depuis, l’enseigne assure tous les services d’une banque classique en se spécialisant dans la gestion de patrimoine.

Tout est bien qui est loin de finir…

En 2022, 275 ans après la pose de la première pierre de l’édifice liégeois qui a fait son renom, le groupe bancaire s’est choisi un nouveau siège social au cœur du quartier européen, à Bruxelles. L’édifice qui est actuellement la construction en ossature bois la plus grande de Belgique est également très économe en énergie et pionnier en matière d’emprise CO2 (reconvertible). A lui seul, il est un ambitieux message d’avenir sociétal et technologique transmis par le CEO de la banque Nagelmackers, Zhijun David Yuan, que Georges Nagelmackers lui-même n’aurait pas renié.

« Depuis plusieurs années déjà, nous nous sommes engagés à contrôler de près l’impact sociétal et environnemental de notre gamme de produits bancaires. La plupart des fonds de notre offre, gérés en interne et sélectionnés en externe, peuvent désormais être considérés comme des fonds durables, dans le respect des réglementations internationales », insiste-t-il.

Zhijun David Yuan n’en est pas à sa première expérience en Europe. Avant de prendre la tête du groupe belge, il a occupé pendant 12 ans plusieurs postes de direction en risque et en finances auprès de Citibank China et de Citibank EMEA Regional Finance Division. Il a également travaillé au sein de Cordis Europe Finance et de Fujitsu Europe Finance à Bruxelles après avoir obtenu un MBA à la VUB en 2000. Depuis début 2017, il était CFO de la banque Nagelmackers S.A. et de Anbang Belgium Holding depuis fin 2018.

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