Il possède l’un des plus beaux palmarès de l’histoire du golf. Vainqueur de neuf tournois du Grand Chelem, Ben Hogan a pourtant failli devoir arrêter sa carrière suite à un terrible accident de voiture.


C’était le 2 février 1949, au retour du tournoi de Phoenix, sur une route du Texas. Au volant d’une belle limousine – une Cadillac achetée un peu plus tôt – Ben Hogan est victime d’un effroyable accident. Une nappe de brouillard un peu plus épaisse que prévue, un autobus qui roule trop vite. Et c’est le choc. Son épouse Valérie, assise à ses côtés, sort miraculeusement indemne du véhicule. Mais le jeune champion lui, est gravement atteint. A son arrivée à l’hôpital d’El Paso, les médecins craignent même pour sa vie. Il souffre d’une double fracture du bassin et de sérieuses lésions à la hanche et à la clavicule. De nombreuses côtes sont cassées. Dans tous les cas, sa carrière de golfeur professionnel semble terminée…

Durant de longs mois, Ben Hogan reste cloué sur son lit. Méconnaissable, il ne pèse plus qu’une petite cinquantaine de kilos et fait pitié aux infirmières. La dépression le guette. Puis, peu à peu, il reprend quelques forces et se surprend même à mimer un swing de golf dans sa chambre. C’est le début d’une incroyable renaissance. D’un véritable miracle !

Moins d’un an après l’accident, en toute discrétion, Ben Hogan ressort ses clubs de l’armoire et boucle son premier parcours en compagnie de sa femme. Son dos le fait encore souffrir mille maux mais, à l’évidence, il n’a rien perdu de son talent et son swing est toujours bon pour le service !  Ces retrouvailles réussies avec les greens donnent un coup de fouet au moral du champion qui, d’un coup, se reprend à rêver…

Le grand public, qui avait complètement perdu sa trace, est très surpris, dès lors, à l’annonce,  en janvier 1950, du retour du héros dans un  tournoi officiel. Il est carrément abasourdi lorsqu’il apprend sa victoire, à égalité avec Sam Snead, lors de l’Open de Greenbrier, à Los Angeles. Donné pour mort, ou presque, treize mois plus tôt, voilà Ben Hogan de retour au plus haut niveau. Jamais le sport américain n’avait enfanté pareille résurrection…

 

L’école des caddies

Benjamin William Hogan est né 13 août 1912 à Dublin, au cœur des chaudes terres du Texas. Le suicide de son père, lorsqu’il avait neuf ans, l’oblige à travailler très jeune. « Il me fallait aider maman à subvenir aux besoins de la famille. Tour à tour, j’ai été pompiste, coursier, serveur » raconta-t-il souvent.

Toujours dans le dessein de ramener quelques précieux dollars à la maison, le petit Ben s’essaye aussi comme « caddie », le week-end, au Glen Garden Country Club voisin. Le sac de ses clients pèse des tonnes sur ses frêles épaules. Mais le jeune garçon apprécie ce sport étrange et se pique même au jeu. Son travail terminé, il se surprend ainsi à taper des balles avec un club – beaucoup trop grand – prêté par l’un des membres…

Vous devinez la suite ! Obstiné et observateur, Ben Hogan va vite brûler les étapes au soleil de son talent. A quinze ans, il s’adjuge la Coupe de Noël du club, à égalité avec un certain Byron Nelson ! Dans sa tête, le doute n’est plus permis : il deviendra golfeur professionnel ! Ainsi dit, ainsi fait…

Ses débuts sont pourtant difficiles. Son talent ne suffit pas. A l’heure de vérité, un grain de sable vient systématiquement enrayer la belle mécanique et, dans les coulisses, on parle surtout de lui comme d’un « loser ».

En 1934, âgé de 22 ans, Ben Hogan épouse Valérie Fox, une amie de jeunesse. Mais l’apprenti-champion éprouve les pires peines à boucler ses fins de mois, au point de devoir se défaire de la Ford T familiale. Une sixième place au tournoi d’Oakland lui rapporte un chèque de 380 dollars et lui accorde un sursis auprès de son banquier. Elle lui sert surtout de tremplin. Enfin libéré et lancé sur de bons rails, le Texan sort le grand jeu et remporte, en 1938, sa première grande victoire lors du tournoi de Herschey. Il a 26 ans. A cet âge, Bobby Jones avait déjà pris sa retraite. Pour lui, c’est le début de la grande aventure…

Sur sa lancée, en 1939, Hogan s’adjuge quatre nouveaux succès sur le Tour de l’époque et partage les gros titres des journaux spécialisés avec Byron Nelson et Sam Snead. Un triumvirat est né. Durant les dix années suivantes, ces trois hommes, à la fois rivaux et partenaires, domineront en effet nettement le golf américain et mondial.

 

Petit Chelem à 42 ans !

La Deuxième Guerre Mondiale met le golf entre parenthèses. Engagé dans l’Armée de l’air, Ben Hogan fait honneur à la patrie. En 1945, libéré de ses obligations militaires, il revient encore plus fort et déterminé sur les greens. Entre cette date et son effroyable accident de voiture de février 1949, il va s’adjuger la bagatelle de 37 des 104 tournois auxquels il participe. Une statistique réellement impressionnante. Mieux : lui qui, jusque-là, avait toujours échoué dans les grands rendez-vous remporte, de haute lutte, ses premiers titres dans le tournois du Grand Chelem : lors de l‘USPGA (qui se jouait à l’époque en matchplay) en 1946 et lors de l’US Open en 1948 sur le parcours de Riviera.

L’accident de la route du début de l’année 1949 interrompt, bien sûr, la marche triomphale du héros texan. Son retour au sommet n’en sera évidemment que plus grandiose. Enterré par la presse, il renaît de ses cendres comme le phénix. Son succès lors de l’US Open de 1950, un an et demi après le drame, est sans doute le plus beau de sa carrière. Obtenu au terme d’un playoff face à Lloyd Mangrum et George Fazio, sur le parcours du Merion Club de Philadelphie, il le hisse définitivement sous les feux de la rampe. L’Amérique toute entière a les yeux de Rodrigue pour Chimène pour ce champion improbable qui, quelques mois plus tôt, se battait pour la vie dans une chambre d’hôpital…

Rien n’arrête plus, alors, le « Lazare du golf ». Au sommet de son art, Hogan collectionne les succès comme d’autres les papillons. En 1951, il remporte son premier Masters sur le mythique parcours d’Augusta. Dans la foulée, il s’offre son deuxième US Open consécutif à Oakland Hills. Et, en 1953, à l’âge de quarante-deux ans, il réussit un « Petit Chelem », gagnant successivement le Masters (avec 5 coups d’avance et un score de 274), l’US Open (avec six coups d’avance sur son grand rival Sam Snead) et le British Open. Il aurait sans doute réussi le Grand Chelem si, cette année-là, l’USPGA ne s’était disputé  – curieux hasard ! – aux mêmes dates que le British Open.

« Le golf, c’est aussi savoir regarder les autres… » 

Les joueurs américains n’étaient pas très nombreux, à l’époque, à traverser l’Atlantique pour participer à l’Open Championship. Mais Hogan avait fait du tournoi britannique un véritable objectif. Sur le parcours écossais de Carnoustie, il offre un véritable récital, se jouant avec une rare dextérité du rough et du vent. « Il était arrivé en Ecosse quinze jours plus tôt, pour découvrir le parcours et dompter les balles.  Il avait étudié le moindre détail durant des heures» raconta ensuite son caddie. A l’arrivée, il remporte le titre avec quatre coups d’avance sur ses plus proches poursuivants ! A son retour au pays, le héros a droit, comme Bobby Jones, à la grande parade dans les rues de Broadway…

Ben Hogan remporte son dernier titre en 1959, lors du Colonial Invitational. Il a, alors, 47 ans et un certain Arnold Palmer commence à lui faire de l’ombre…

Un palmarès grandiose

Au total, entre 1938 et 1959, Ben Hogan a remporté la bagatelle de 62 tournois sur le circuit professionnel américain, dont neuf lors des Majors (4 US Open, 2 Masters, 2 USPGA et 1 British Open). Une statistique symbolise, mieux que toute autre, la régularité horlogère du champion texan : il ne s’est jamais classé au-delà de la dixième place lors des 16 US Open et des 14 Masters auxquels il a participé ! Et, sous les couleurs de l’équipe américaine de Ryder Cup, qu’il défendit en 1947 et 1951, il n’a pas perdu un seul de ses trois matches!

Ben Hogan n’était sans doute pas aussi doué que Bobby Jones, Jack Nicklaus, Arnold Palmer ou Tiger Woods. Il n’avait assurément pas le charisme des vraies stars. Certains le disaient même plutôt antipathique, distant avec les autres, froid comme la glace avec les médias. Même ses plus fidèles supporters regrettaient son apparente indifférence et son allergie chronique aux sollicitations, sans doute issue de sa timidité naturelle.

Mais cela n’enlève évidemment rien à ses mérites. Forçat de l’entraînement et perfectionniste jusqu’au bout des ongles, il est arrivé au sommet à force de travail et de persévérance, partant de nulle part pour se hisser vers les plus hautes cimes du golf mondial. « Le golf, c’est aussi savoir regarder les autres » confiait-il souvent à l’heure d’expliquer ses progrès tardifs. Un aveu qui cerne bien  la philosophie de joueur d’exception.

Avant lui, les champions étaient, avant tout, des surdoués qui se contentaient de taper quelques balles avant leurs parties. Ben Hogan a été le premier à faire du « practice » son terrain préféré de jeu, vidant des seaux entiers de balles (1000 par jour en moyenne) et usant tous les tapis d’entraînement pour progresser! Il a fait du golf un véritable sport professionnel, avec son lot de sacrifices.

Modèle d’assiduité et de courage, inventeur du « Hogan fade » (ce coup d’école qui fait désormais partie de tous les livres d’enseignement golfique), élevé au rang de « meilleur golfeur de tous les temps » en 1965, Ben Hogan aurait pu, sa carrière terminée, vivre de son nom. Comme le firent ensuite Jack Nicklaus ou Arnold Palmer, par exemple. Frileux à l’égard du monde et des honneurs, préférant sa tour d’ivoire au brouhaha des salons où l’on cause, il préféra la discrétion d’une retraite tranquille, parrainant simplement une marque de club qui fait toujours référence dans le milieu des connaisseurs.

Au vrai, Hogan, champion atypique et silencieux, occupe une place à part dans l’histoire du golf. On le surnommait souvent le « faucon ». C’était, en vérité, un miraculé.

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