Premier grand champion de l’hémisphère Sud, Gary Player a largement participé à l’essor du golf aux quatre coins du monde. Ses duels avec Jack Nicklaus et Arnold Palmer sont gravés pour l’éternité.


Dans la grande histoire du golf, Gary Player occupe une place à part. Lorsqu’il frappe, au début des années cinquante, aux portes du circuit professionnel, il n’a guère le profil de l’emploi. D’abord, il n’est ni Américain, ni Britannique. Il vient d’Afrique du Sud, un lointain pays isolé, sans réelle tradition golfique. Ensuite, fils de mineur, il est issu d’une famille pauvre. Enfin, il présente un physique assez inhabituel pour un sportif de haut niveau. Petit, d’apparence fragile, il n’est assurément pas taillé dans le moule du champion en puissance.

Et pourtant, Gary Player va signer une carrière exceptionnelle et forcer le respect de tous. Les chiffres et les statistiques sont là pour le prouver. Le champion sud-africain a remporté la bagatelle de 163 tournois professionnels entre 1953 et 1985 ! Lauréat de neuf tournois du Grand Chelem (3 Masters en 1961, 74 et 78, 1 US Open en 1965, 3 British Open en 1959, 68 et 74, 2 US PGA 1962 et 72), il est le seul joueur du XXème Siècle à avoir enlevé 3 Open Britannique sur trois décennies différentes ! Sa longévité est carrément unique. En 2009, à l’âge de 73 ans, il participait à son dernier Masters d’Augusta sous les yeux admiratifs de toute la planète golf.

 

De l’ambition plein le swing

Le jeune Gary fait ses débuts dans le monde du golf comme caddie dans un club très huppé de Johannesbourg. Touché par le virus, il se met en tête de devenir un grand champion, lisant et relisant l’ouvrage « Les principes Fondamentaux du Golf » rédigé par son idole, le génial Ben Hogan. Infatigable travailleur, il passe des heures au practice du Virginia Park Golf Club à peaufiner son swing, suscitant la curiosité de tous les membres du club.

Georges Blumberg est l’un d’entre eux. Cet homme d’affaires possède une villa donnant sur le golf et remarque la présence quasi permanente de ce jeune joueur sur le putting green et dans le bunker de practice. Impressionné à la fois par la qualité du jeu et l’obstination de l’adolescent, il lui propose de devenir son manager. Nous sommes en 1953. Gary PLayer vient juste d’avoir 18 ans…

« Je n’avais que trois pantalons dans ma valise »

C’est en Grande-Bretagne que le jeune prodige fait ses véritables débuts comme professionnel. Il fait aussitôt office d’attraction pour les médias et, même, les autres joueurs. Un peu comme s’il venait d’une autre planète. Les gens ironisent volontiers sur ses origines modestes et sur ses habits qui n’ont rien de très tendance. C’est de cette époque qua date d’ailleurs son surnom : « The Black Knight » (le « Chevalier noir »). Gary Player s’habille en effet systématiquement en noir. Pas tellement par superstition ou par choix personnel mais bien par nécessité. Il s’en expliqua plus tard. « En fait, je n’avais que trois pantalons dans ma valise. Et le noir était la couleur la plus discrète pour ne pas attirer l’attention sur l’usure du tissu et les éventuelles taches… »

Oui, Player est un joueur différent. Il faut le voir passer des journées entières à l’entraînement, tapant des milliers de balles, pour comprendre à quel point il est habité par la rage de vaincre et de réussir. Et il ne se contente évidemment pas de travailler sa technique. Afin de développer sa musculation et sa résistance, il fait monter des centaines de kilos d’haltères dans sa chambre, endure de longues séances de footing chaque matin et surveille, avec un grand sérieux, son alimentation.

Son objectif est clair : devenir le meilleur joueur du monde. Avec une certaine innocence et une franche naïveté, il n’hésite pas à le proclamer aux quelques journalistes qui s’intéressent à cette « bête curieuse ». De quoi choquer le passionné de golf britannique, traditionnellement très réservé. Mais Player n’a que faire des us et coutumes de la haute société. Il a son plan de carrière en tête et il ne voit pas pourquoi il devrait le garder secret…

 

Couronnement à Augusta

Lancé sur orbite par quelques succès sur le sol anglais, Gary Player se décide à faire le grand saut en 1958 et à tenter sa chance aux Etats-Unis. Le défi est à la hauteur de l’ambition de ce joueur au parfum exotique qui, dès son arrivée de l’autre côté de l’Atlantique, annonce tout naturellement son intention de défier Arnold Palmer, le nouvel héros de tout le pays !

Pas vraiment pris au sérieux, le Sud-Africain est carrément voué aux gémonies lorsqu’il ne parvient pas à se qualifier pour le Masters de 1958. Mais les moqueries se taisent un peu plus tard quand le « petit bonhomme de Johannesbourg » termine à la deuxième place de l’US Open. Aux yeux de tous les connaisseurs, ce joueur possède incontestablement un véritable talent.

Il le confirme l’année suivante en remportant son premier tournoi du Grand Chelem, lors du British Open se disputant sur le légendaire parcours de Muirfield, en Ecosse. Gary Player a 24 ans à peine. Et, pour la première fois, son nom barre la une de tous les journaux du monde. A star is born…

En 1961, le « Chevalier noir » remet sur le métier son ouvrage. Mais, cette fois, aux Etats-Unis. Sans complexe, il remporte le prestigieux Masters d’Augusta, au nez et à la barbe de toutes les étoiles du golf US. Deuxième à un coup, le grand Arnold Palmer n’en croit pas ses yeux.

Ce succès sert de déclic. Jusque-là méfiants, les médias se prennent soudain de passion pour ce curieux joueur. La victoire du Masters 61 est, il est vrai, épique. Le dernier jour, sur le dernier trou, Player envoie sa balle dans le bunker. Le coup est difficile mais l’artiste sud-africain est un magicien du sable. Il dépose la balle à côté du drapeau et enquille un putt gagnant. Palmer, qui croyait avoir la victoire en poche au départ du même trou, se retrouve dans le même bunker. Mais l’Américain ne parvient pas à gérer le stress et doit se contenter d’un double bogey et de la deuxième place ! L’histoire est trop belle et la presse se délecte à raconter le parcours inhabituel de l’ancien caddy de Johannesbourg…

Les années qui suivent sont celles de tous les superlatifs. C’est l’époque où le golf attise les plus folles passions aux Etats-Unis grâce à la rivalité sans cesse croissante entre Arnold Palmer, Jack Nicklaus et Gary Player. Les trois joueurs se livrent des batailles de légende sur les greens du monde entier. Et leur médiatisation atteint des sommets. C’est à peine si la presse ne fait pas de Player un citoyen américain…

Héros et globe-trotter

Les trois rivaux ont de nombreux points communs : un talent énorme, une personnalité forte et une exceptionnelle longévité. On se souvient que Jack Nicklaus a remporté, en 1976, le Masters à l’âge de 46 ans. Gary Player fait quasiment aussi bien en 1978, lors du même tournoi. Agé de 42 ans, il a pourtant entamé le dernier tour avec sept points de retard sur le leader. C’est dire si, sur le papier, il n’a aucune chance de victoire. Mais, en état de grâce, le Sud-Africain rentre une carte exceptionnelle de 64 et coiffe, sur le poteau, Hubert Green et Tom Watson. Jamais victoire ne fit plus grand plaisir au champion, définitivement installé dans la légende.

Ce troisième sacre à Augusta, à l’âge où certains sont déjà grands-pères, est son dernier dans un Major. Mais il ne sonne pas le glas de sa carrière. Au contraire. Fort de son incroyable notoriété, Gary Player poursuit son  parcours au plus haut niveau, s’offrant au passage des tours d’honneur aux quatre coins du monde. Véritable globe-trotter, il est apprécié de tous et joue volontiers aux « ambassadeurs » pour ce golf qui lui a tant donné. Des observateurs, férus de chiffres, ont calculé qu’il a déjà parcouru près de 30 millions de kilomètres autour du globe pour assouvir sa passion pour ce sport…

Au fil des ans, il a, bien sûr, étoffé sa garde-robe. Si le noir a toujours été sa couleur fétiche, il lui est arrivé également de porter du beige ou du blanc. Mais il est  toujours resté fidèle à sa casquette à large visière, à son sourire angélique et sa vie d’ascète.

L’histoire ne dit pas si, oui ou non, Gary Player a été, un moment, le meilleur joueur du monde. Qu’importe ! Le Sud-Africain a marqué une époque. Venu du bout du monde, il a été le premier joueur de l’hémisphère Sud à défier les champions des Etats-Unis et de Grande-Bretagne sur leur sol. D’apparence fluette, il a été le premier à intégrer une véritable préparation physique à la vie d’un golfeur de haut niveau. Et que dire de sa longévité, unique à ce niveau. En 1998, invité à participer à l’épreuve en sa qualité d’ancien vainqueur, il réussit l’exploit de franchir le « cut » lors du Masters !

Riche et célèbre, paré d’honneurs (dont le Golf Hall of Fame en 1974), il aurait pu se satisfaire de sa collection de victoires et savourer une retraite paisible dans l’un de ses ranchs, aux côtés de sa femme Vivienne épousée en 1957, de ses six enfants, de sa vingtaine de petits-enfants et de ses chevaux de course (son autre grande passion). Mais, à l’instar de Palmer ou Nicklaus, il a fait aussi carrière comme architecte de golf, dessinant plus de 140 parcours sur tous les continents. Il participa notamment à la création du « Five Nations », à Méan.

Champion exemplaire sur les greens, il l’a toujours été aussi dans la vie. Et il s’est fait un devoir de rendre au golf tout ce que celui-ci lui avait donné. Infatigable promoteur de ce sport, il a été à la base de l’arrivée de tant de champions sud-africains sur le devant de la scène, comme Ernie Els, Retief Goosen ou Trevor Immelman. Quelque part, il a été le précurseur de la mondialisation du golf sur tous les continents. C’est sans doute la victoire qui lui tient, aujourd’hui encore, à 84 ans, le plus à cœur.

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