Son palmarès n’est pas aussi étoffé que ceux d’Arnold Palmer, Gary Player ou Jack Nicklaus. Par son talent et son charisme, l’Américain a pourtant écrit quelques-unes des plus belles pages de l’histoire du golf.


Contemporain de Jack Nicklaus, Lee Trevino a souvent vécu dans l’ombre de l’immense « Golden Bear ». Au cours de sa carrière, il s’est néanmoins offert un solide tableau de chasse sur les greens, remportant la bagatelle de six Majors :  deux British Open (1971 et 1972), deux USPGA (1974 et 1984) et deux US Open (1968 et 1971). Seul, parmi les Grands Chelems, le Masters d’Augusta lui échappa. Les spécialistes expliquent ce revers par le fait que le jeu du champion américain était naturellement tourné vers la droite (le fameux « fade »), là où le parcours géorgien plaît davantage aux joueurs maniant bien la balle vers la gauche (le tout aussi célèbre « draw »).

Rien ne prédispose le jeune Lee Trevino à faire carrière dans le golf. Issu d’une modeste famille d’origine mexicaine, il grandit dans l’un des quartiers les plus pauvres de la banlieue de Dallas. Lorsqu’il ne va pas à l’école, il aide ses parents à cultiver le coton et l’oignon, histoire de survivre.

Comme tant d’autres futurs champions, il découvre le golf en proposant ses services comme caddie au Dallas Athletic Club, distant de quelques centaines de mètres de sa maison. Du haut ses huit ans, il porte ainsi les sacs des membres et cire leurs chaussures pour quelques dollars. Sur le parcours, il en profite pour analyser les swings des uns et les stratégies des autres. Et dès qu’il en a l’occasion, il s’en va taper des balles sur le petit parcours de trois trous réservé au personnel. Faute de moyens, il se contente de vieux clubs, souvent rafistolés à la hâte. Mais il s’en sort très bien. A l’évidence, le gamin est doué et prometteur. Sous le regard de Hardy Greenwood, pro du «  Hardy’s Driving Range »  à Dallas, il franchit peu à peu les paliers. Mais il est loin d’imaginer le destin de champion qui l’attend…

Des Marines à l’US Open

A l’âge de 17 ans, Lee Trevino s’engage dans les Marines. Il y restera durant quatre longues années, partageant son temps entre ses obligations militaires et le…golf, qu’il pratiquait régulièrement avec ses supérieurs hiérarchiques, ravis de défier ce joueur atypique qui n’hésitait pas, le cas échéant, à miser sa paye sur une partie de matchplay !

Son service militaire terminé, conscient que son avenir est définitivement sur les greens, il devient assistant professionnel au club Horizon Hills, à El Paso, au Mexique. Il participe occasionnellement à des matches face à des champions de passage, comme Ray Floyd, surpris de devoir affronter ce « petit Mexicain » qui avait, un peu plus tôt, porté son sac de la voiture au vestiaire ! Sur le parcours, Trevino passe tout près cependant de la victoire, son prestigieux adversaire ne devant son salut qu’à un eagle sur le dernier trou. «Il y a un sacré un petit gars à El Paso. Il fera parler de lui, croyez-moi » confie Ray Floyd à ses collègues lors de son retour aux Etats-Unis.

« La pression c’est de jouer contre des joueurs plus forts que vous pour 25 dollars alors que vous n’avez que 10 dollars en poche »

Il a le nez fin. En 1967, à 27 ans, Lee Trevino franchit le pas et se lance, tête baissée, dans la carrière professionnelle sur le circuit américain. Nous sommes en 1967. Le golf « made in USA » est en plein essor et dominé par le triumvirat Arnold Palmer-Gary Player-Jack Nicklaus. Mais qu’importe : taillé dans le roc, dénué du moindre complexe, sûr de sa force, Trevino se sent prêt à relever tous les challenges, fussent-ils impossibles ! 

Pour son premier US Open, inconnu du bataillon, il termine à la cinquième place, à 8 coups seulement de Jack Nicklaus. Et il boucle sa première saison sur le PGA Tour avec 26.000 dollars sur son compte en banque et le statut très envié de « Rookie of the year » ! A star is born…

Vainqueur de Nicklaus !

L’année suivante est celle de la consécration. Sur le parcours du Oak Hill Country Club, à Rochester (New York), le Texan sort le grand jeu et prend sa revanche, remportant l’US Open au nez et à la barbe de Jack Nicklaus. Incrédule, l’Amérique découvre vraiment ce joueur hors du commun, vrai, sensible, extraverti et blagueur y compris sur un parcours !

L’année 1971 est son meilleur cru personnel. Il remporte successivement l’US Open (encore devant Jack Nicklaus), le Canadian Open et le British Open (au Royal Birkdale). Sur sa lancée, il signe, en 1972, sur le mythique links écossais de Muirfield, un doublé mémorable au British Open au terme d’un thriller face l’Anglais Tony Jacklin. Au sommet de son art, Trevino rentre un chip sur le trou n°17 pour sauver le par et s’impose en profitant du bogey de son rival sur le dernier trou.

« La pression ? Ils ne savent pas ce que c’est ! La pression c’est de jouer contre des joueurs plus forts que vous pour 25 dollars alors que vous n’avez que 10 dollars en poche » résume-t-il à l’heure d’expliquer son art de bien négocier les coups importants. C’est du Trevino tout craché !

Au fil des ans, au gré de ses humeurs, l’Américain s’est constitué un tableau de chasse de grande qualité s’offrant 29 titres sur le PGA Tour entre 1968 et 1984 et participant à six Ryder Cups sous les couleurs des Etats-Unis. Son plus bel exploit fut peut-être sa dernière victoire en Grand Chelem, en 1984. A 45 ans, il s’adjuge de haute lutte l’USPGA sur le parcours de Shoal Creek prouvant que, pour des champions de sa classe, la valeur sait aussi attendre le nombre des années…

Une vie mouvementée

Imprévisible à la ville comme à la scène, Lee Trevino a eu une vie passionnante, improbable, pleine de rebondissements. Sur le plan sportif, bien sûr. Mais aussi sur le plan privé et humain.

 Le 27 juin 1975, sur le parcours du Chicago National, il est touché par la foudre et est retrouvé inconscient sur le fairway. Après avoir passé de longs mois paralysé sur un lit d’hôpital, il trouve les ressources nécessaires pour reprendre le chemin du practice malgré de lourdes séquelles. Les muscles de ses jambes ont perdu cinquante pour cent de leur tonicité. Avec un courage exceptionnel, il change complètement son swing qu’il adapte à sa nouvelle constitution physique. Lui qui, de coutume, s’appuyait sur la puissance du bas du corps développe désormais un mouvement axé sur la puissance du buste et des bras. Il est évident que, sans cet accident, son palmarès aurait été bien plus fourni. Mais, quelque part, il lui a permis de repousser ses propres limites et de rebondir. Avec à la clé, une deuxième naissance et une collection de nouveaux succès. 

Victime de mauvais conseillers financiers, Lee Trevino vit, un peu plus tard, sa fortune –  patiemment accumulée – réduite en miettes mais, là aussi, il fit preuve d’une philosophie toute particulière, acceptant son destin avec une forme de résignation et repartant de plus belle à l’assaut du Seniors Tour où il décrocha quatre Majors, dont deux en 1992.

 Aussi généreux (il a toujours parrainé de nombreuses œuvres caritatives) que dépensier (il se plaisait à ajouter des enjeux aux enjeux), Trevino a souvent dénoté dans la jungle du PGA Tour où les requins de tous poils, avares de sourires, nageaient en eaux troubles.  Fantaisiste par nature, bavard impénitent, il n’avait rien du « pro robotisé », conçu uniquement pour gagner dollars et trophées. Il mettait en avant d’autres valeurs.

Doté d’un humour dévastateur , il a toujours fait les délices de la presse américaine, ravie de ses bons mots. «Comment peuvent-ils espérer me battre ? J’ai été frappé par la foudre, j’ai subi deux opérations du dos et deux divorces… » ironisait-il, le verbe plein de malice, à l’aube de chaque tournoi.

Et nul n’a oublié sa réflexion, si symbolique de l’état d’esprit du golf professionnel américain, au lendemain de son premier triomphe à l’US Open. «Avant le tournoi, je racontais des blagues et personne ne riait. Juste après, je racontais les mêmes blagues et tout le monde rigolait… »

Adulé par le public pour son humour décalé, sa bonne humeur communicative et son sens du show, il occupe toujours une place à part dans le cœur des golfeurs du monde entier.

En vérité, Le Trevino – alias « Supermex » – a toujours été un champion atypique, conscient de ses origines et désirant savourer, en épicurien, sa chance. Il est probable qu’il aurait eu une carte de visite plus nourrie encore s’il n’avait croisé, sur sa route, l’une des générations les plus douées de l’histoire du golf. Mais, à l’arrivée, sa notoriété en a tiré profit. Arnold Palmer, Gary Player et Jack Nicklaus l’ont toujours confirmé : Trevino était l’adversaire qu’il redoutait le plus, tant il était capable de tous les exploits, à tout moment, sur n’importe quel parcours.

A l’analyse, ce n’est pas un hasard s’il fait partie du World Golf Hall of Fame depuis 1981, s’il a été élevé au rang de 14ème plus grand joueur de l’Histoire par le magazine Golf Digest, s’il été capitaine de l’équipe US de Ryder Cup en 1985 et s’il a participé, avec l’aura d’une star de Hollywood, à tous les grands talk shows des networks américains. Lee Trevino, dont le sourire a souvent rappelé Jerry Lewis, fait partie intégrante du gotha.

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