A 89 ans, un mois avant sa mort, il donnait encore le coup d’envoi, sur le tee numéro un d’Augusta, du Masters. Et il partage toujours, à ce jour, le records de victoires avec Tiger Wopods sur le PGA Tour.


Parmi ses nombreuses vertus, le golf possède celle de bien conserver ses adeptes! L’exemple de Sam Snead, champion américain légendaire, est là pour le prouver. Victorieux de son premier tournoi professionnel en 1934, à l’âge de 22 ans, il remporta son dernier en 1965 à l’âge de 52 ans ! Et il poursuivit ensuite sa carrière chez les Seniors !

Durant cinquante ans, ce joueur exceptionnel,  au swing d’une rare légèreté, s’est adjugé la bagatelle de 135 tournois, dont 82 sur le seul circuit professionnel américain, un record qu’il partage actuellement avec Tiger Woods.

La longévité du grand Sam fut, tout simplement, phénoménale. Alors qu’il aurait pu, fortune faite, ranger ses clubs au placard et vivre de ses rentes, il poursuivit sa carrière chez les seniors, s’offrant même, ça ou là, quelques détours sur le PGA Tour pour honorer des invitations. Sexagénaire et fier de l’être, il termina ainsi troisième de l’USPGA en 1974, à 62 ans (du jamais vu) et 37 ans après avoir disputé cette même compétition pour la première fois ! Un peu plus tard, à l’âge de 67 ans, il fut le premier golfeur à scorer en dessous de son âge sur un tournoi professionnel, à Quad City. Un exploit qu’il réédita plusieurs fois ensuite !

Le talent et l’humour

Samuel Jackson Snead naît  le 27 mai 1912 à Ashford, en Virginie. Cinquième fils d’une famille très modeste de six enfants, il découvre assez jeune les joies du swing, en jouant les caddies pour les notables du club de White Sulfur Springs. La légende raconte qu’il portait les sacs de ses clients pieds nus afin de ne pas user son unique paire de chaussures, réservée pour l’école et pour la messe dominicale !

Grand, solide, athlétique, le jeune Sam se sait doué pour le sport. Tous les sports. Il aurait pu tenter sa chance sur les pistes en tartan (il a été chronométré 10 secondes sur 100 yards) ou sur les pelouses de football américain (il a été sollicité par plusieurs franchises). Mais c’est finalement vers le golf qu’il se dirige en 1934. Le défi est à la mesure de son ambition : colossal !

C’est le début d’une fantastique carrière où il collectionne les titres et les honneurs.  A ses qualités sportives, le jeune champion ajoute un vrai charisme naturel. Doté d’un sens inné de la répartie, toujours de bonne humeur et prêt à sortir un bot mot, Snead est vite adopté par le grand public américain. Son humour fait des ravages. A un journaliste qui, après l’une de ses premières victoires, lui demande : « Quel effet cela vous fait d’être à la une du New York Times ? », il répond tout de go : « Rien ! Je ne pourrais le savoir. Je n’ai jamais été à New-York… »

« C’était un régal de le voir jouer… »

Avec Ben Hogan et Byron Nelson, ses amis et adversaires de l’époque, il participe largement, en tout cas, à l’essor du golf durant l’entre-deux guerres. Il doit néanmoins attendre la quarantaine pour entrer réellement dans l’histoire. C’est après le deuxième conflit mondial qu’il signe, en effet, ses plus beaux succès, s’adjugeant sept levées du Grand Chelem en l’espace de cinq ans : le Masters (en 1949, 1952 et 1954), l’USPGA (en 1942, 1949 et 1951) et le British Open (en 1946).

Seul l’US Open, le Major que tout champion américain se doit de remporter,  lui résista. Il fut souvent tout près de le gagner mais il échoua régulièrement à la deuxième place (quatre fois, c’est beaucoup !), à la fois victime d’un maudit signe indien et d’un putting hésitant.

Pour combattre ce point faible, il débarqua un jour avec dans son sac avec un curieux engin : une sorte de putter géant qu’il utilisa comme s’il s’agissait d’un maillet de croquet. Mais les grands pontes du circuit interdirent un peu plus tard l’usage de cet ustensile, stipulant que les deux pieds d’un golfeur doivent toujours être du même côté de la balle. Qu’importe : Big Sam sortit de son chapeau un autre subterfuge, inventant un « nouveau putting » avec les pieds serrés à côté de la balle et la main droite très basse sur le manche, presque à toucher la tête du club. Il progressa légèrement dans ce secteur clé du jeu mais le putting resta son éternelle faiblesse.

Le swing de référence

On ne saura jamais si, avec un meilleur petit jeu, Sam Snead aurait signé encore un plus beau palmarès. C’est probable. Il restera, en tout cas, dans l’histoire, comme l’un des joueurs au swing le plus pur. « C’était un régal de le voir jouer. Le regarder taper des balles au practice, c’était comme regarder un poisson s’entraîner à nager. Tout était naturel… » résument les spécialistes de l’époque.

Le « drive » était son atout numéro un. Sa marque de fabrique. Avec le matériel de l’époque, bien éloigné de celui d’aujourd’hui, il parvenait à catapulter la balle bien au-delà des 200 mètres avec une précision chirurgicale. Son style élégant était inimitable. D’une infinie souplesse, malgré sa grande taille, l’Américain parvenait à se tirer de toutes les situations. La cinquantaine passée, il s’amusait encore à toucher un plafond haut de plus de deux mètres avec ses pieds sous le regard incrédule de ses adversaires !

C’est à Augusta, à l’occasion du légendaire Masters, que Sam Snead réalisa sans doute ses plus beaux exploits. Il remporta trois fois le tournoi géorgien et fut, au passage, le premier à revêtir la fameuse « green jacket », cette veste verte remise au lauréat de l’épreuve. En 1949, il sortit vainqueur d’un Masters  joué dans des conditions climatiques détestables, sous la pluie et dans le vent ; en 1952, il s’adjugea le titre en usant de toute son expérience pour contrôler la situation et conserver quatre strokes d’avance sur Jack Burke Junior ; en 1954, enfin, il domina son grand rival Ben Hogan à l’occasion d’un playoff mémorable. Les deux hommes entretenaient des relations d’amour et de haine. Adversaires sans pitié sur les greens, ils faisaient les quatre cent coups en coulisses. Donné favori, Hogan céda face à un rival sublimé qui joua comme dans un rêve dans les moments décisifs. Un grand moment de golf que les deux champions évoquèrent souvent ensuite en feuilletant leur album aux souvenirs…

Dans celui-ci, Snead avait également réservé une belle place à son sacre obtenu sur le mythique parcours de Saint Andrews lors du British Open de 1946. A cette époque, il n’était pas courant que les champions américains traversent l’Atlantique pour venir défier leurs homologues britanniques. Snead avait pourtant fait le voyage, pour faire plaisir à son sponsor. Après avoir critiqué, avec son ironie habituelle, les lieux – « un golf mal dégrossi », des « traditions désuètes » et «des repas infects » – il se fait pardonner en offrant un véritable récital de coups gagnants lors de la dernière journée où, dans la tempête, il s’impose en vrai champion, avec 4 coups d’avance sur le second. La leçon de golf dans toute sa splendeur. Et même les langues de vipère britanniques se turent devant pareille exhibition.

Le jeu de Snead s’adaptait, en réalité, à tous les terrains et à toutes les conditions. « C’était une machine à swinguer » se souviennent les anciens. « Quand il frappait avec son club, ses pieds, ses genoux, son buste, tout était en mouvement. Mais il le faisait tout de façon si douce, si naturelle, qu’il était impossible de s’en rendre compte en l’observant » expliqua un jour Bill Campbell, président de l’US Golf Association. On a dit que le swing de Snead ressemblait au mouvement d’un chat qui saute. L’image est belle. Elle symbolise le rythme félin de l’artiste.

Au cours de sa carrière, Sam Snead défendit les couleurs de l’équipe américaine de Ryder Cup à sept reprises comme joueur et les Etats-Unis s’imposèrent sept fois ! Il hérita également, en 1969, du poste de capitaine, sur le parcours anglais de Birkdale. Il aurait sans doute aimé s’auto-sélectionner au sein de l’équipe mais il se contenta sagement de diriger ses troupes avec, à la clé, un match nul qui permit aux Américains de conserver le précieux trophée.

Une star avant l’heure

Le décès de Sam Snead le 23 mai 2002, à la veille de son nonantième anniversaire, a chagriné toute l’Amérique qui, dans son for intérieur, le croyait sans doute immortel. L’homme faisait pleinement partie de l’histoire du sport américain. Surnommé « Slammin’Sam »,  il avait traversé toutes les époques, il faisait partie de toutes les familles.

Bon pied bon œil, il avait réussi une remarquable carrière chez les seniors et ne manquaient jamais l’occasion de participer aux tournois du Grand Chelem pour lesquels il bénéficiait d’une invitation permanente en sa qualité d’ancien vainqueur. Et il s’amusait, plutôt fier, de sa notoriété persistante. 

Invariablement coiffé d’un petit chapeau de paille – qui cachait sa calvitie -, jouant systématiquement sans gant (comme Fred Couples, ensuite),  traditionnellement habillé de couleurs vertes et jaunes, Sam Snead était de tous les bons coups, au propre comme au figuré. L’âge n’avait aucune emprise sur lui, un peu comme s’il voulait, sans cesse, contredire sa date de naissance et les lois du temps qui passe. 

Un mois avant sa mort, il donnait encore le coup d’envoi du Masters en drivant sur le tee de départ numéro un de l’Augusta National. Il se chuchote que sa balle dévia de sa trajectoire pour toucher de plein fouet un brave spectateur installé cent mètres plus loin…

Personnage atypique aux facettes multiples, génial et imprévisible, Snead aurait pu faire carrière à Hollywood ! Cocasse, irrésistible, facétieux mais d’une grande gentillesse naturelle, il usait et abusait de son sens de l’humour et de sa gloire. Il était, avant l’heure, une vraie star médiatique qui aurait, aujourd’hui, fait les délices de tous les talks shows sur les networks. C’était, en somme, un précurseur, dans le sens plein du terme. Un précurseur et un sacré champion.

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