Sur la Promenade des Anglais, l’hôtel de luxe niçois traverse les époques avec la même philosophie. Véritable musée, il symbolise la passion de la regrettée Jeanne Augier pour l’art.


C’est un lieu différent et improbable. Un palace de bord de mer aux allures de musée, comme il n’en existe nulle part ailleurs. C’est bien davantage, en tout cas, qu’un hôtel de luxe. Monument classé dominant la Baie des Anges, le Negresco fascine et impose dès le premier coup d’œil, à l’image de sa façade majestueuse ou de sa fameuse coupole rose.

En janvier dernier, Jeanne Augier, propriétaire des lieux depuis 1957, s’en est allée, du haut de ses 96 ans. Mais la « Grande Dame » – comme on l’appelle –  a laissé, en héritage, une Maison à nulle autre pareille et un plan de route parfaitement balisé sur la Promenade des Anglais. Dernier grand hôtel indépendant en France, le Negresco a un ADN unique et indestructible. Et ce supplément d’âme et d’histoire n’a pas de prix.

Au nom de l’art

Flash-back. En 1893, le jeune Henri Negrescu, roumain de naissance et fils d’aubergiste tzigane, arrive à Monte-Carlo. En 1910, naturalisé français, ce visionnaire décide de créer son propre hôtel, à Nice, en collaboration avec l’architecte Edouard Niermans. Ainsi naît, le 8 janvier 1913, le Negresco. D’entrée, le palace fait référence et attire une clientèle internationale brillante, souverains de l’ancien et du nouveau monde : la Reine Amélie de Portugal, le comte de Paris, les Grands-Ducs Wladimir et Dimitri, …

En une seule année le Negresco gagne son surnom  de « plus somptueux des palaces ». La première saison est un grand succès avec 800 000 francs or de bénéfice ! Chacun s’extasie devant le grand hall elliptique de style Louis XVI, la rotonde lumineuse, le tapis géant d’un coût de 300 000 francs de l’époque ou encore l’ameublement signé Paul Dumas dans les 450 chambres.

La guerre de 14-18 survient et Henri Negresco (son nom français), récemment promu chevalier de la Légion d’Honneur, décide d’offrir à la Nation son hôtel comme hôpital temporaire et va même jusqu’à payer de ses deniers l’entretien de 100 lits. Ceci lui vaudra d’être mobilisé sur place et de continuer à veiller sur le bâtiment.  A la fin de la guerre, Henry Nesgresco est ruiné. Il décède à Paris en 1920.  L’hôtel est racheté par une société belge et entre peu à peu en léthargie même s’il reste une adresse de choix pour hivernants élégants.

En 1957, Jean-Baptiste Mesnage et sa fille Jeanne, future épouse de Maître Paul Augier (avocat et homme politique niçois), rachètent l’établissement  qui va, aussitôt, renaître de ses cendres.  La passion développée par Jeanne Augier pour sa Maison va lui permettre de retrouver la première place. Son concept majeur : présenter l’ensemble des grandes heures de l’Art Français – grâce à une exceptionnelle collection d’œuvres d’Art – à ses clients pour faire du palace une vivante ambassade de la France.

Tous les grands noms

Au fil des ans, Jeanne Augier n’a cessé d’enrichir la collection qu’elle a créée, accroissant ainsi le prestige du palace et attirant une clientèle prestigieuse et fidèle. Tous les grands noms de la politique, du cinéma, de la mode ou de la culture descendent au Negresco. Grace Kelly, Jean Cocteau, Walt Disney, Marc Chagall et les Beatles aimaient, parmi tant d’autres, y faire escale.

Les anecdotes ne manquent pas. Michael Jackson a ainsi débarqué avec son propre Chef de Cuisine ! Après avoir transformé une chambre en cuisine, il a installé dans une autre une piste de danse. Il se déguisait pour sortir en toute tranquillité : en hippie, en gentleman londonien, en livreur et même en femme de petite vertu !

Lors d’une panne d’électricité, l’ascenseur ne pouvant fonctionner, Arthur Rubinstein a refusé de monter quatre étages à pied. Il a demandé deux oreillers, une couette, un réveil à 8 heures avec petit déjeuner et Champagne … Et le célèbre pianiste a passé la nuit dans le Salon Louis XIV !

Anthony Quinn débarqua, un beau matin, avec vingt valises contenant les cent robes de soirée de son épouse ! Le célèbre acteur demanda, en plus de la Cadillac blanche avec chauffeur, un simple vélo, qu’il utilisa d’ailleurs tous les jours. Chaque matin, le voiturier lui présentait la bicyclette et  l’acteur disparaissait dans la circulation… suivi de la Cadillac dans laquelle son épouse prenait place…

Dans le XXIème Siècle

Même s’il vit en dehors du temps, le Negresco est entré dans le XXIème Siècle d’un pas conquérant. C’est dans ses gênes d’évoluer avec le progrès. Dès 1912, le palace était ainsi à la pointe de la modernité avec un autoclave à vapeur, des commutateurs électriques et un service interne de pneumatiques pour distribuer le courrier dans toutes les chambres via un tube.  Aujourd’hui, il s’est mis discrètement à l’heure des dernières nouveautés domotiques  sans toucher, bien sûr, à sa philosophie.

Ici, l’art de vivre se mélange avec l’art tout court. Et il se décline à tous les modes, jusque dans les moindres détails. Séjourner au Negresco c’est se plonger dans un étonnant mélange d’époques et de styles. Dès l’entrée, le visiteur est bluffé.La verrière qui illumine le Salon royal défie la raison avec un imposant lustre de cristal Baccarat haut de 4,60 m et composé de 16800 cristaux commandé par le Tsar Nicolas II pour le Kremlin ! Et tout est à l’avenant avec, ici ou là, des sculptures monumentales et des tableaux de maîtres signés des plus grands artistes d’hier et d’aujourd’hui. Et d’immenses tapis au sol et aux murs. Plus de 6000 références avec les plus grands noms. Les œuvres de Salvador Dali, fidèle des lieux, occupent notamment tout un étage. Aucun hôtel au monde ne recèle autant de trésors sous ses lambris. On se croirait au Louvre!

De belles valeurs

Le Negresco, membre historique des « Leading Hotels of the World », propose 100 chambres et 25 suites, toutes différentes. Qu’elles soient de style baroque, contemporaine ou classique, qu’elles aient vue mer ou jardin, elles respirent, à l’unisson, l’esprit de la Maison avec un mobilier personnalisé et d’époque. La Suite France, par exemple, fait un clin d’œil au célèbre paquebot avec un hublot dans la salle de bain et une maquette dans le salon!

La gastronomie occupe une place de choix. Le restaurant Le Chantecler, doublement étoilé et dirigé par Virginie Basselot, est une référence sur la Côte d’Azur. La Cheffe pilote aussi la brasserie La Rotonde, relookée et très tendance. « Ma cuisine se veut classique, directe et simple : je ne cherche pas à déstabiliser mais à rassurer » explique cette magicienne des papilles, sacrée « meilleur ouvrier de France » en 2018.

Avec ses boiseries en noyer de 1913 et sa tapisserie de 1683, le bar – très british – permet de terminer la soirée sur un air de jazz ou de soul. Et faut-il ajouter qu’il suffit de traverser la Promenade des Anglais pour se retrouver sur la plage en galets, si courue à la belle saison?

Hôtel-musée – ou, si vous préférez,  « galerie d’art avec chambres » – le Negresco reste plus que jamais fidèle à de belles valeurs. Respectueux de l’environnement et certifié Ecolabel, il répond aux priorités du moment, le regard tourné vers l’avenir. Jeanne Augier avait décidé de léguer ses biens et sa fortune personnelle à un Fonds de dotation axé autour de trois missions : la défense des animaux, l’aide aux personnes handicapées et en détresse, ainsi que la participation active « à la préservation culturelle en France, notamment en assurant la sauvegarde de l’hôtel Negresco et de ses collections.

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