Véritable artiste, spécialiste des coups impossibles, le champion espagnol a marqué plusieurs générations et contribué à la mondialisation du golf.     


Il occupe une place à part dans l’histoire du golf. A l’instar d’Arnold Palmer, de Jack Nicklaus ou de Tiger Woods, Severiano Ballesteros a marqué plusieurs générations. Par son talent, bien sûr, mais aussi par personnalité, si forte et si charismatique. En plus d’un palmarès exceptionnel, riche notamment de trois British Open et de deux Masters, l’Espagnol a fait entrer le golf dans une nouvelle ère. Jusqu’aux années septante, le sport de St.Andrews était surtout pratiqué en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En se hissant vers les sommets, en défrayant les chroniques par ses spectaculaires succès, en dérangeant l’establishment, Seve a renversé tous les tabous et est devenu le champion médiatique et populaire par excellence.

C’est lui qui a été à la base de l’explosion du golf dans les années 80 dans toute l’Europe occidentale, y compris en Belgique. C’est lui qui a suscité des milliers de vocations auprès des jeunes. C’est lui qui a dépoussiéré un sport qui vieillissait sans se remettre en question. Oui, l’Espagnol fait partie intégrante de la légende du golf. « Tu te prends pour Ballesteros, ou quoi? » entend-on souvent dans les parties amateurs du dimanche lorsqu’un joueur tente un coup impossible. Un peu comme l’on entend, dans une voiture, l’incontournable « Tu te prends pour Fangio? » Entrer dans le langage courant : c’est assurément la plus belle récompense quand on aime le public.

 

Enfant de la balle

Né le 9 avril 1957 à Pedrena, une petite commune près de Santander, en Cantabrie, le petit « Seve » a grandi dans une famille très modeste où le golf avait néanmoins sa place grâce à un vieil oncle, Ramon Sota, l’un des meilleurs joueurs espagnols des années soixante. Papa Ballesteros – spécialiste d’aviron – était jardinier au club local et ses quatre fils devinrent tous férus  de swing, au point de devenir rapidement professionnels.

Gamin, Severiano fit ses classes comme caddie. Faute d’être membre, il s’entraînait sur la…plage avec le fer 3 tout rouillé que lui avait offert son frère Baldomero. Et, lors des nuits de pleine lune, il n’hésitait à passer la barrière et à monter, en cachette, sur le grand parcours pour tester ses coups!

Né pour le swing comme Mozart pour la musique, l’enfant de la balle fut vite remarqué et brûla ensuite les étapes au soleil de son talent. A 10 ans, il remportait son premier tournoi. Et à 13 ans, il signait déjà une carte de 63 (9 sous le par).  Doué, il intégrait dans l’instant tout ce qu’il voyait, suscitant l’admiration des plus blasés. Le doute n’était pas permis : Pedrena avait enfanté un véritable phénomène.

Le jeune Ballesteros avait, à l’époque, une idole : le Sud-Africain Gary Player, l’un des grands champions du moment. Apprenant que son héros allait inaugurer un nouveau club à La Manga, près de Murcie, il supplia son frère de l’emmener. Sur place, il passa des heures à regarder Player frapper des balles au practice et, de retour à Pedrena, il décréta sans rire : « Un jour, je le battrai! »

Au vrai, le gamin ne doutait de rien ni de personne. Il croyait en sa bonne étoile, sans se poser de questions. Il fonçait sans regarder derrière lui.

Professionnel dès l’âge de 16 ans, le jeune prodige allait vite se faire un nom, remportant notamment à 17 ans le Trophée Lancôme! Cette victoire française fut d’autant plus médiatisée qu’elle fut acquise, grâce à neuf derniers trous éblouissants, face au grand Arnold Palmer.  La machine était lancée et rien n’allait plus l’arrêter!

 

Very british!

C’est le British Open qui donna ses lettres de noblesse au champion espagnol. En 1976, âgé de 19 ans et inconnu du grand public, il défraye une première fois la chronique du plus célèbre tournoi du monde. Sur le parcours du Royal Birkdale, il prend la tête à l’aube de la dernière journée. A l’arrivée, il échoue, certes, à la deuxième place derrière l’Américain Johny Miller mais son audace et son talent ont épaté tous les observateurs. Après avoir signé un eagle sur le trou n°17, il invente un coup improbable sur le dernier trou pour terminer à égalité avec l’immense Jack Nicklaus. L’Angleterre entière vient de craquer pour un nouveau génie : elle en fera un dieu vivant et un modèle. Presqu’un enfant du pays !

Ballesteros remporte, à 22 ans, son premier British Open en 1979 sur le parcours du Royal Lytham. Epoustouflant, il offre un véritable récital de coups improbables, comme celui joué, le dernier jour, sur le trou n°16 où sa balle se retrouve sur un…parking provisoire. Loin de s’en émouvoir, « Seve » improvise une approche miraculeuse qu’il colle au drapeau. Une marque de la maison! Sans s’en rendre compte, il vient d’entrer dans la légende! Les images de Seve, conquérant, font aussitôt le tour du monde et inculquent, subitement, un coup de jeune à un sport vieillissant à la recherche d’un deuxième souffle. Pensez donc : jamais depuis le Français Arnaud Massy en 1907, un Européen du continent n’avait remporté l’épreuve…

Nick Faldo : « Je n’ai jamais vu jouer si bien ! »

Le fier Espagnol s’adjuge son deuxième The Open en 1984 sur le mythique parcours de St.Andrews, berceau du golf. Au sommet de son art, il domine notamment l’Américain Tom Watson – en quête d’un sixième sacre – grâce à un somptueux birdie sur le « finishing hole ». Là aussi, l’image de son poing rageur accompagnant la balle au fond du trou a fait le tour de la planète, dépassant largement les frontières habituelles de la grande famille du golf.

En 1988, il remporte une troisième aiguière en argent massif, à nouveau sur le links du Royal Lytham, grâce à un dernier tour défiant la raison où il rentre une carte de 65. L’Anglais Nick Faldo, qui partageait la même partie, lui confie : «Je n’ai jamais vu jouer aussi bien! ». « Seve » ne pouvait rêver plus beau compliment…

 

Maître à Augusta

Loin de se satisfaire de régner en Europe, Ballesteros a rapidement étendu sa domination sur le territoire américain avec, à la clé, la même popularité naturelle. En avril 1980, alors qu’il vient de fêter son vingt-troisième anniversaire, il gagne son premier Masters sur les sacro-saints greens de l’Augusta National, devenant le premier Européen à s’imposer dans ce tournoi et le plus jeune vainqueur. En tête avec 10 coups d’avance à 9 trous de la fin, il craque légèrement autour de l’Amen Corner. Mais cela ne l’empêche pas de revêtir sa première « green jacket » avec 4 coups d’avance sur Gibby Gibert et Jack Newton. Trois ans plus tard, il remet sur le métier son ouvrage. Même heure, même endroit, même scénario. A l’heure des comptes, Ben Crenshaw et Tom Kite terminent à quatre longueurs…

Dans l’absolu, il aurait pu – et dû – remporter bien d’autres Masters, tant ce tournoi d’exception, joué sur un parcours proche de la perfection, se prêtait magnifiquement à son jeu d’artiste, à ses mains en or et à son art consommé du putting. Le destin en décida autrement. En 1985 et 1987, il termine deuxième derrière Langer et Mize, respectivement. Et en 1986, une erreur sur le trou n°15, où il envoie sa balle dans l’eau devant le green, le prive de se mêler au duel qui oppose Jack Nicklaus, âgé de 46 ans, et le jeune « Requin blanc » Greg Norman.

Mais Ballesteros est néanmoins devenu, dès cette époque, une star planétaire, adulée de New York à Tokyo. Il ramasse les contrats publicitaires à la pelle et devient l’un des sportifs les plus riches du monde. Cela ne l’empêche pas de rester fidèle à ses principes, quitte à déranger. Il parle vrai, sans détour. Il comprend mal la rigidité du sport qu’il pratique et il le dit haut et fort.

La Ryder Cup

Il faudrait un livre pour conter toutes les victoires (94 comme professionnel) et tous les exploits du champion espagnol, notamment en Ryder Cup, une compétition dont il est devenu, au fil des ans, l’un des plus beaux symboles.

A la base de l’intégration révolutionnaire, en 1979, de l’Europe au sein de l’équipe britannique, il va largement contribuer à l’essor de cette compétition si particulière qui oppose, tous les deux ans, les meilleurs joueurs américains à leurs homologues européens.

Sélectionné à huit reprises, il collectionne les triomphes, formant notamment avec son compatriote Jose-Maria Olazabal l’une des plus belles paires de double de l’histoire. Et en 1997, élevé au rang de capitaine,  il impose quasiment aux grands pontes de la compétition que le parcours de Valderrama, en Andalousie, accueille l’épreuve. Jusque là, celle-ci s’était toujours disputée aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.

En réalité, seuls les défis ont vraiment intéressé ce champion hors du commun et allergique à la routine. Sur les parcours et en dehors.

Où qu’il jouait, Ballesteros était attendu comme un héros et le public suivait, en masse, ses parties, tant son jeu était spectaculaire. “Il a l’élégance de Ben Hogan l’habileté de Sam Snead, l’agressivité d’Arnold Palmer, la ténacité de Gary Player, la technique de Jack Nicklaus et la froideur de Tom Watson” écrivit, un jour, un confrère américain.

En vérité, il ne ressemblait à personne. Génie du golf, il était capable de réussir les coups les plus insensés. Grâce à sa technique et à sa créativité, il inventait des coups venus de nulle part au gré de ses humeurs. Et qu’importe si sa balle se trouvait au milieu de buissons ou dans la racine d’un chêne! On l’a vu réussir des coups dans toutes les positions, y compris à genoux en-dessous d’un arbre. “Je ne l’ai jamais sur le fairway durant les 18 trous et, à l’arrivée, il a réussi un score bien meilleur que le mien” s’exclama un jour Nick Price, impressionné par la faculté de l’Espagnol à se sortir de toutes les situations. “Un golfeur sort du lot lors de chaque génération. Ballesteros fait partie de ceux là. Il a tout pour lui: le talent, la technique, la connaissance, le courage et le charisme” résumait l’Américain Lee Trevino.

“Ballesteros a marqué des générations entières. C’était un magicien de la balle. Il voyait des coups que les autres ne voyaient pas. Il inventait des trajectoires. C’était fabuleux de le voir à l’oeuvre. On vivait le parcours au travers de ses émotions. Quel artiste! Il jouait avec la balle, dans le sens premier du terme. Son driving n’était pas exceptionnel. Mais son petit jeu était un pur régal…” évoque le Belge Philippe Toussaint qui défendit avec lui les couleurs de l’équipe continentale européenne lors d’un match face aux Britanniques en 1976.

Victime d’une tumeur au cerveau, Severiano Ballesteros est décédé le 7 mai 2011, à 54 ans, laissant le golf orphelin d’une véritable légende.

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