De Guccio Gucci à Alessandro Michele en passant par Tom Ford et Frida Giannini. Retour sur l’histoire de la Maison Gucci, riche d’un siècle de luxe à l’italienne. Ou la quintessence d’un style follement élégant librement inspiré par l’univers équestre.


Mars 2021, quelque part en Italie. Impossible de la reconnaître ! Pour les besoins du tournage de « House of Gucci », réalisé par Ridley Scott, Lady Gaga interprète Patrizia Gucci rendue célèbre par un fait divers sordide : avoir commandité l’assassinat de son époux, Maurizio Gucci (joué par Adam Driver), héritier de la célèbre maison de luxe italienne. Mécontente de ce projet de film qu’elle juge trop intrusif, la (vraie) famille Gucci remet aussi en cause le casting : Al Pacino sera Aldo Gucci à l’écran, celui qui a ouvert les mythiques boutiques Gucci à Rome, à Paris et à New York, élargissant la portée de la marque et lui offrant ainsi une clientèle VIP. Un choix d’acteur qui ne convainc pas. « Mon grand-père était un homme beau, grand, élégant, comme tous les Gucci. Dans ce film, il est joué par Al Pacino qui n’est pas déjà très grand et, là, on le présente en plus comme gros, négligé… Il ne lui ressemble pas du tout ! » estime une représentante actuelle de l’illustre famille.

Dans les années 60, Gucci devient le symbole de la dolce vita et du luxe à l’italienne.

Rappelez-vous, Gucci c’est l’aventure d’une formidable renaissance, sans nulle autre pareille dans l’histoire de la mode. L’origine de la marque remonte à 1921, lorsque Guccio Gucci fonde à Florence une petite entreprise de maroquinerie et de sellerie, qui va devenir le plus important label de mode en Italie. C’est d’ailleurs de ses origines que vient l’emblème fétiche de Gucci – un mors de cheval – qu’on retrouve sur la majorité des sacs, des chaussures et des autres pièces de maroquinerie. Dans les années 1950, les trois fils de Guccio – Aldo, Vasco et Rodolfo – poursuivent l’œuvre de leur père en imposant mondialement la marque tant sur le plan créatif que sur le plan commercial, et en lui insufflant une sacrée dose de modernité et de glamour. Gucci misera toujours sur le savoir-faire de ses artisans italiens, sur des étoffes de qualité et sur une orientation marquée vers le luxe. La marque devient alors « le » symbole de la dolce vita et du raffinement à l’italienne. Un succès international qui va connaître son apogée dans les années 60-70.

En 1983, les affaires vont mal (notamment du fait de querelles intestines entre les frères Gucci). La marque s’essouffle jusqu’à devenir une griffe à la dérive, bradée à tous les coins de duty free. Domenico De Sole, un avocat italien devenu citoyen américain, diplômé de Harvard, est appelé à la rescousse par Rodolfo Gucci pour l’aider à régler un ultime conflit fratricide. Dans la foulée, De Sole entrera dans la société pour diriger la branche américaine. A la mort de Rodolfo, Domenico De Sole devient l’avocat de Maurizio, son fils unique et play-boy notoire, qui prendra l’excellente initiative de racheter les parts de ses cousins avec pour ambition de redorer le célèbre blason aux deux « G » entrelacés.

Les années Tom Ford seront celles du glamour, du sexy et de la provocation. 

C’est notamment Maurizio Gucci qui va recentrer l’image de la marque perdue dans un fouillis de ceintures, de briquets et d’autres gadgets ceints de la célèbre bande tricolore (aux couleurs du drapeau italien) qui s’inspire des sangles des selles d’équitation. A cette occasion, il engage Dawn Mello, directrice mode issue du luxueux grand magasin new-yorkais Bergdof Goodman. C’est elle qui, en 1990, a l’intuition géniale d’engager dans son équipe un jeune styliste ambitieux et bourré de talent : Tom Ford (de son vrai nom, Thomas Carlyle). Au tournant des années 1990, Maurizio sera poussé dehors par Investcorp, un groupe d’investisseurs des Emirats arabes unis qui a pris le contrôle de Gucci. Alors qu’on est à deux doigts de la faillite, Domenico De Sole et Tom Ford, précurseur d’un nouvel esthétisme sensuel et sulfureux, le « porno chic », sauvent Gucci qui se hisse à nouveau au plus haut niveau. « Du passé de Gucci, il a fait un avenir ! » dira de lui la célèbre Anna Wintour, rédactrice en chef de « Vogue US ». Résultat : le prêt-à-porter (qui représente moins de 20 % du chiffre d’affaires) engendre à lui seul un tapage médiatique et une pluie de parutions dans les médias qui entretiennent, sans relâche, une excitation (commerciale) autour du nom Gucci. Mais Maurizio n’aura pas le temps de savourer le come-back de la maison qui porte son nom : le 27 mars 1995, sa vie est dramatiquement interrompue de trois balles tirées à bout portant. Une exécution commanditée pour une sordide question d’argent par la mère de ses deux filles, son ex-femme Patrizia, qui sera condamnée à 26 ans de prison (dont elle sort en 2016 après avoir purgé sa peine).

Des sacs iconiques

On l’a rappelé : au départ, Gucci est une marque de maroquinerie avec un savoir-faire hors du commun. Le monde équestre est partout présent dans ses créations à travers des motifs représentant un étrier ou un mors de cheval. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe doit faire face à de nombreuses pénuries de matières premières, dont le cuir. Qu’importe ! Pour faire tourner ses ateliers, Guccio Gucci a l’idée de remplacer le cuir par du bambou : le sac « Bamboo » naît en 1947 et reste à ce jour un best-seller de la marque. A ses débuts, ce sac à main possédait une poignée et un fermoir en bambou poli. Ces éléments, qui firent son succès, ont depuis été déclinés en d’innombrables versions. Si les modèles diffèrent, les techniques de fabrication, elles, restent artisanales. En 2010, Gucci lancera le « New Bamboo » en édition limitée qui se décline en deux versions : python et cuir Cellarius. Cette réédition est accompagnée d’une expo rétrospective « Bamboo Forever » retraçant l’histoire de l’illustre sac à travers les décennies.

Tout en conservant les codes de la maison, Alessandro Michele cherche à atteindre une cible plus jeune.

Autre sac emblématique de Gucci : le sac « Jackie O » en toile monogrammée, créé en 1961 en hommage à l’une des plus fidèles et des plus célèbres clientes de la marque, Jackie Kennedy Onassis. C’est aussi au début des années 60 que naît l’iconique logo « GG » (les initiales de Guccio Gucci). Utilisé d’abord comme fermoir pour un sac à main, il est ensuite frappé dans du cuir, imprimé sur du tissu, bruni dans du velours, jusqu’à devenir le symbole de la maison. Toujours à la même époque, on voit apparaître les fameux mocassins à mors de cheval, référence aux débuts de Gucci, immortalisés par l’acteur Peter Sellers. Et que dire de la collection « Flora », à laquelle Alessandro Michele, actuel directeur de la création, a rendu hommage. Nous sommes en 1966, Grace Kelly et le prince Rainier fêtent leurs 10 ans de mariage. A l’occasion, Gucci dédie un foulard « aux fleurs champêtres » à la princesse de Monaco. La toile « Flora » devient alors emblématique de la maison et se décline en une gamme de sacs à main et de fourre-tout. En 2004, la styliste Frida Giannini la remet au goût du jour. Des robes d’été, des maillots de bain, des serviettes et des chaussures s’ajoutent à la collection.

Gucci aujourd’hui

En 1999, après un palpitant « western » financier, la marque Gucci est rachetée par le groupe Kering, du Français François-Henri Pinault. Tom Ford quittera la maison en 2004, remplacé par la brillante créatrice italienne Frida Giannini qui recentre la griffe sur son héritage artisanal. Les années 2000 seront marquées par moins de provocation et (encore) plus de valeurs luxueuses. Avec 4 milliards de chiffre d’affaires en 2009, Gucci est une des griffes italiennes les plus lucratives, qu’il s’agisse de maroquinerie, de prêt-à-porter (femme et homme) ou de haute couture. En 2015, la directrice artistique cède sa place à Alessandro Michele (alors responsable des accessoires). Tout en conservant les codes de la maison, il va s’évertuer à moderniser la marque et à atteindre une cible plus jeune, en dévoilant des collections audacieuses qui oscillent entre androgynie assumée et romantisme contemporain. La nouvelle collection « Aria », présentée en ligne ce mois d’avril 2021 sous la forme d’un film halluciné coréalisé avec Floria Sigismondi (auteur de clips vidéo de génie), célèbre les 100 ans de Gucci, entremêlant l’héritage de la maison, ses mythes, ses symboles et ses paillettes. Alessandro Michele fait même référence au style ultra-sexy de l’époque Tom Ford. Un véritable vent de fraîcheur souffle sur la plus glamour des centenaires !

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