Le champion suisse a mis fin, à 41 ans, à une carrière exceptionnelle. Icône du sport, il a écrit durant 25 ans l’histoire du tennis avec talent et élégance. Portrait d’une légende.


La retraite de Roger Federer a laissé le sport orphelin d’une de ses plus grandes icônes. A l’instar de Tiger Woods, Muhammad Ali, Pelé, Michael Jordan ou Carl Lewis, le champion suisse a écrit l’histoire et marqué les générations. Durant un quart de Siècle, il a collectionné les victoires et les exploits mais il a surtout promené, côté courts, son talent, son élégance, son fair-play. Federer c’était la classe à l’état pur. C’était le tennis, tout simplement.

Enfant de la balle

Né à Bâle d’un père suisse et d’une mère sud-africaine, le petit Roger a découvert les joies du tennis dans le petit club local du TC Old Boys. Un moment, il hésita à faire plutôt carrière dans le football, où il se débrouillait très bien. « Mais mon expérience de ramasseur de balle lors de l’Open de Bâle en 1993 fut décisive dans ma décision de rester fidèle au tennis. J’ai pu côtoyer de près quelques-uns des meilleurs joueurs du monde, dont Stefan Edberg. J’étais sur un petit nuage… »

En 1995, du haut de ses 14 ans, il intègre le Centre national d’Ecubiens, pépinière de talents située près de Lausanne. Les débuts sont difficiles. C’est la première fois qu’il se retrouve éloigné de son cocon familial. «J’étais un peu perdu. Je ne parlais pas un mot de français. J’ai souvent pleuré. Mais, en même temps, cette expérience m’a formé et m’a poussé à devenir fort et indépendant… »

Rapidement, le jeune Roger brûle les étapes au soleil de son talent et s’impose comme l’un des meilleurs joueurs de son âge. En 1998, il remporte, en en simple et en double, le tournoi junior de Wimbledon. Il remet le couvert à l’Orange Bowl et termine l’année comme numéro un mondial de sa catégorie. A star is born.

A cette époque, Federer n’affichait pourtant pas cette maîtrise qui, plus tard, allait faire sa réputation. C’était un joueur atypique et hyperdoué mais instable et irrégulier. Et son caractère bien trempé et volontiers frondeur ne lui était pas toujours favorable. « C’était un gamin effronté, attachant et agaçant à la fois » se souviennent ses camarades. Et sur le court, le jeune artiste avait d’ailleurs ses humeurs. Perfectionniste, il n’appréciait guère de rater une balle. Ses raquettes s’en souviennent !

Un palmarès hallucinant

Roger Federer fait ses débuts sur le circuit professionnel en 1998 lors du tournoi de Gstaad. Dès la saison suivante, il intègre l’équipe nationale suisse de Coupe Davis et dispute ses premiers Grands Chelems. Son jeu n’est pas encore bien en place. Sa frappe de balle est exceptionnelle, sa variété de coups impressionne, ses déplacements sont aériens mais il n’a pas encore cette régularité pour réellement défier les meilleurs.

Il doit ainsi attendre 2001 pour soulever son premier trophée sur le circuit ATP lors du tournoi de Milan. C’est un vrai déclic. Dans la foulée, il s‘offre le scalp de Pete Sampras en huitièmes de finale de Wimbledon. On ne la sait pas encore mais c’est une sorte de passation de pouvoir. Au fil des tournois, le Suisse prend confiance, affine ses stratégies, acquiert de l’expérience. En 2002, il s’impose à Key Biscayne (son premier Masters 1000) et se hisse dans le Top 10 mondial. L’année suivante, au sommet de son art, il remporte, à 21 ans, son premier Grand Chelem sur la gazon sacré de Wimbledon en dominant l’Australien Mark Philippoussis. A star is born. Depuis, le Bâlois a ajouté dix-neuf autres sacres en Grands Chelems à son tableau de chasse !

Il faudrait un livre, voire une bibliothèque, pour décrire tous les exploits du joueur le plus talentueux de l’histoire. On se limitera à quelques chiffres qui donnent, à eux seuls, le tournis. Durant sa carrière professionnelle, Federer a disputé 1526 matches et en remporté 1251. Il a gagné 103 tournois ATP en simples, dont 8 Wimbledon, 6 Open d’Australie, 5 US Open et un Roland-Garros. Il a remporté six fois le Masters et a occupé la place de numéro un mondial durant 310 semaines. Qui dit mieux ?

Seul petit regret : il n’a jamais remporté la médaille d’or olympique en simple. Battu par Andy Murray en finale à Londres en 2012, il a néanmoins gagné le double (avec Wawrinka) à Pékin en 2008.  

Le plus talentueux de tous

Oui, Federer a écrit l’histoire. En lettres majuscules, sans la moindre faute de frappe. Jamais le tennis n’a enfanté un champion aussi talentueux dans le sens plein du terme. Certes, CV au bout des doigts, Rafael Nadal (22 Grands Chelems) et Novak Djokovic (21) ont déjà fait mieux. Mais, aux yeux des puristes, le Suisse a toujours été un cran au-dessus tant son jeu était naturel et inspiré. C’est virtuellement le « GOAT » (« Greatest Of  All Time »). Le père fondateur. Il aimait le tennis et le tennis l’aimait. Tout est dit.

Federer s’entraînait, bien sûr, beaucoup. Il n’y a pas de secret à ce niveau-là. Mais sur le court il semblait chaque fois improviser une symphonie au gré de ses humeurs et du rebond de la balle. Revers à une main le long de la ligne, passings shots en coups droits, volées ou demi-volées, aces à 200 km/h : tout lui semblait facile. C’était un peu comme s’il jouait pour le plaisir, sans jamais grimacer, sans jamais souffrir. En réalité, il portait le tennis en lui. Il anticipait les coups, volait sur le terrain, usait et abusait de son agilité. Quelque part, c’était un danseur étoile. La raquette était son jouet, la continuité de sa main. Le tout avec une élégance unique dans le geste. C’était un one man show permanent, surtout les surfaces rapides qui convenaient si bien à son jeu aérien. Sur le gazon de Wimbledon, ses matches dégageaient le parfum de l’exhibition au plus que parfait.

Sur terre battue, c’était plus compliqué. Attaquant de grand chemin, porté vers l’offensive et vers l’avant, le génie suisse appréciait moins les balles lentes et lourdes chères à la brique pilée. Il n’aimait pas passer des heures au fond du court à attendre l’erreur de l’adversaire. Orgueilleux et ambitieux, il se battit néanmoins  pour conquérir quelques triomphes sur cette surface. Nul n’a oublié son titre de 2009 à Roland-Garros où, profitant de la défaite de Rafael Nadal en huitièmes de finale face à Söderling, il s’offrit la Coupe des Mousquetaires sous une ovation qui fit peur à tous les oiseaux du Bois de Boulogne voisin!

Le Big Three

On peut se demander quel aurait été le palmarès de Roger Federer si Rafael Nadal et Novak Djokovic n’avaient eu la curieuse idée de croiser son chemin ? Il aurait sans doute pulvérisé tous les records de victoires. Mais ne comptez pas sur lui pour le regretter. Au contraire.

Avec de l’autre côté du court des rivaux de cette dimension, le Suisse a été obligé d’encore élever son niveau de jeu, de repousser ses limites. C’est l’essence du sport. Ensemble, les trois champions – le fameux « Big Three » – ont, en tout cas, hissé le tennis vers les plus hauts sommets avec, en toile de fond, des matches de légende et des finales inoubliables, à couteaux tirés. Qu’on se le dise : on ne revivra sans doute jamais plus une telle rivalité dans l’excellence et un tel respect.

Roger Federer aurait aimé, sûrement, s’offrir une tournée d’adieu davantage en ligne avec sa fabuleuse carrière. Un dernier tour de piste à Wimbledon, un dernier salut à Roland-Garros. Ses derniers mois, malheureusement, il a dû se rendre à l‘évidence. Son genou droit, opéré trois fois en cinq ans, ne lui permettait plus de performer à un bon niveau. Il a retardé plusieurs fois l’échéance mais il a fini par se résoudre, à 41 ans, à jeter l’éponge, laissant ses millions d’admirateurs la larme à l’œil.

Federer était un champion modèle. Une légende dans le sens plein du terme. Il a participé mieux que personne à l’évolution du jeu. Il a fait entrer le tennis dans une nouvelle dimension. « C’était Pavarotti chantant Bob Dylan » a dit, de façon imagée, Mats Wilander. Mais il  laisse aussi en héritage une attitude et un état d’esprit chevaleresque. Certes, il n’aimait pas perdre et le montrait parfois, comme lors de sa défaite en finale de Wimbledon face à Rafael Nadal en 2008. Mais c’était un gentleman sur et en dehors du court.  Une référence à tous les niveaux. Partout où il jouait, il était d’ailleurs encouragé comme un joueur local, un peu à l’image de Tiger Woods en golf.

Une page s’est tournée. Mais, à 41 ans, il va à présent relever d’autres défis. Marié et père de quatre enfants, il va accorder davantage de temps à sa famille. Il va également s’occuper de sa Fondation, active dans l’aide à la scolarisation d’enfants en Afrique, le continent d’origine de sa maman Lynette. Nul doute aussi qu’il restera actif dans les coulisses du tennis et du sport où son expérience et son aura seront très recherchées. Il poursuivra aussi, en amont, sa carrière d’homme d’affaires. Durant sa carrière, Federer a gagné plus de 130 millions de dollars rien que sur les courts. Parallèlement, il a noué des partenariats avec les plus grandes marques, dont Rolex dont il est l’ambassadeur phare. Et il a investi dans plusieurs entreprises. Forbes a estimé sa fortune à plus d’un milliard de dollars, territoire qu’il partage avec des stars du niveau de Tiger Woods, LeBron James ou Lionel Messi. Nul doute donc que la marque Roger Federer – RF pour les intimes – continuera à prospérer dans les coulisses du sport.

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