Avant leur report à l’été 2021, les jeux Olympiques de Tokyo devaient occuper, cette année, le devant de la scène sportive. Il y a juste 100 ans, c’était la petite Belgique qui accueillait cet événement planétaire dans la ville d’Anvers. Retour sur un chapitre historique du sport national.


Lorsque, le 14 août 1920, le roi Albert Ier déclare ouverts les Jeux de la VIIe olympiade, l’heure est à la fois à la fête et aux souvenirs. Les stigmates de la Première Guerre mondiale sont, en effet, encore dans tous les esprits. Dans le stade du Beerschot, une minute de silence est d’ailleurs respectée en mémoire de tous les sportifs tombés au champ d’honneur. Et, plus que jamais, le lâcher de pigeons dans le ciel bas et gris de la métropole revêt une signification lourde de sens.

Il n’était pas évident d’organiser des Jeux à l’heure où l’Europe pansait ses plaies et où les tensions étaient encore si grandes.  Décidé en 1914, le choix d’Anvers n’a pourtant jamais été remis en question. Au contraire. Le baron Pierre de Coubertin n’a cessé de vanter les mérites de la ville portuaire. « Pour son courage, la Belgique mérite, plus que toute autre nation, d’accueillir ces Jeux », répéta d’ailleurs le fondateur de l’olympisme et président du CIO.

Le défi n’est pourtant pas simple à relever. Au lendemain de la guerre, la crise économique est générale. Pour réunir l’argent nécessaire, les organisateurs anversois doivent, d’ailleurs, faire appel à des armateurs et à des diamantaires. Et, afin d’être remboursés, ceux-ci imposent des tarifs souvent excessifs. Résultat : ces Jeux ne connurent pas vraiment le succès populaire espéré pour un événement de cette envergure.

Le serment de Victor Boin

Vingt-neuf nations défilent, lors de la cérémonie d’ouverture, dans le stade olympique du Beerschot. Les pays vaincus lors de la Grande Guerre – l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie et la Turquie – ne sont pas invités. Secrètement, le baron de Coubertin rêvait de Jeux de la réconciliation. Vu les circonstances, c’était un peu prématuré. Les Russes refusent, d’ailleurs, de participer à une compétition de « petits bourgeois ».

Ces Jeux d’Anvers entrent cependant dans l’histoire à plus d’un titre. Pour la première fois, un serment olympique est prononcé. C’est l’escrimeur Victor Boin, futur président du Comité Olympique Belge, qui est chargé de la mission. D’une voix émue, tenant le drapeau noir, jaune et rouge dans une main et levant l’autre, il déclare au nom de tous les athlètes : « Nous jurons que nous nous présentons aux jeux Olympiques en concurrents loyaux, respectueux des règlements qui les régissent et désireux d’y participer dans un esprit chevaleresque pour l’honneur de nos pays et la gloire du sport. »

Le texte de ce serment est toujours de rigueur aujourd’hui même si le terme « jurer » a été remplacé par « promettre » et le terme « pays », par « équipes » afin d’éviter tout nationalisme exacerbé.

Pour la première fois, aussi, le drapeau olympique, adopté lors du Congrès de Paris en 1914, est hissé au mât des stades. Pierre de Coubertin l’avait conçu à partir d’un symbole de la Grèce antique. Des anneaux entrelacés avaient, en effet, été retrouvés sur une dalle de marbre d’Olympie. Désormais, ces cinq anneaux représentent l’union des cinq continents.

Médaille d’or des Diables Rouges

Vingt-deux disciplines (154 épreuves) sont au menu pour les 2.669 athlètes (2.591 hommes, 78 femmes) participants. D’un point de vue sportif, ces Jeux sont marqués par quelques grands exploits. Au niveau belge, c’est sans discussion la victoire de l’équipe nationale de football qui attise les plus grandes passions. A l’époque, la Coupe du Monde n’avait pas encore été créée. Le tournoi olympique revêtait donc une importance majeure. En quart de finale, les Diables Rouges avaient dominé (3-1) l’Espagne du grand Zamora et, dans la foulée, ils avaient pris le meilleur (3-0) sur les Pays-Bas dans un derby brûlant.

En finale, la Belgique affronte la Tchécoslovaquie, impressionnante tout au long du tournoi où elle a notamment sévèrement battu la France (4-1) en demi-finale. Le stade du Beerschot est trop petit pour accueillir tous les supporters. En état de grâce, portée par le public, la Belgique mène rapidement 2-0 grâce à des buts de Coppée et de Larnoe. Dans la foulée, l’arbitre exclut, en outre, Steiner, coupable d’une vilaine faute. C’en est trop pour les Tchèques qui, furieux et mauvais perdants, quittent tout simplement la pelouse ! Sur le moment, cet épilogue malheureux gâche un peu la fête mais faut-il rappeler que cette victoire est toujours aujourd’hui la seule remportée, au niveau international, par nos Diables Rouges ! Pour rappel, l’équipe du sélectionneur Emile Hanse était composée de : Debie ; Swartenbroecks, Verbeeck, Musch, Hanse, Fieren, Van Hege, Coppée, Bragard, Larnoe et Bastion.

Un autre sport fait le bonheur des athlètes belges : le tir à l’arc. Au total, six médailles d’or sont décernées aux archers nationaux. Hubert Van Innis, à lui seul, s’adjuge quatre breloques. Le Malinois est, au demeurant, l’athlète le plus titré de l’olympisme belge. Au total, il a remporté 9 médailles (6 d’or, 3 d’argent) lors des Jeux de Paris (1900) et d’Anvers. Force est d’admettre, néanmoins, qu’en ce temps-là, il y avait inflation de compétitions de tir à l’arc avec des spécialités comme le « tir au berceau » ou le « tir aux petits oiseaux »…

Au total, lors de ces Jeux « à la maison », la Belgique remporte 36 médailles, dont quatorze en or. Elle termine cinquième au classement derrière les Etats-Unis, la Suède, le Royaume-Uni et la Finlande. C’est, évidemment, un record historique. Certaines disciplines apparaissent aujourd’hui complètement décalées. La Belgique remporta ainsi, à Anvers, des médailles d’or dans les compétitions artistiques de sculpture et de musique !

Nurmi fait sensation

Ces Jeux anversois consacrent, par ailleurs, quelques grandes figures du sport mondial. Le nageur hawaiien Paoa Kahanamoku, véritable homme-poisson, confirme sa domination. Déjà lauréat du 100 m lors des Jeux de Stockholm en 1912, il remet son ouvrage sur le métier dans le bassin anversois et participe également au succès US dans le 4×200 m. Nul ne sait combien de médailles aurait remporté l’Américain, élevé dans le sérail des vagues de la plage de Waikiki, sans l’interruption liée à la guerre.

L’Italien Nedo Nadi marque aussi les esprits. Sur les six épreuves inscrites au programme de l’escrime, il en remporte cinq. L’escrime était presque parfaite ! Originaire de Livourne, Nadi est carrément élevé au rang de héros national en Italie. Durant la guerre, il avait, il est vrai, combattu dans deux régiments de cavalerie, terminant au rang de capitaine et décoré à deux reprises. Ses exhibitions à Anvers confirment son génie.

En tennis, la Française Suzanne Lenglen, 21 ans, domine, sans surprise, le tournoi féminin disputé sur les courts du Beerschot. Au sommet de son art, d’une grâce exceptionnelle dans sa belle robe immaculée, elle ne perd, en tout et pour tout, que quatre jeux (olympiques). « J’ai été très émue lorsque le roi Albert Ier est venu, personnellement, me féliciter. Je n’oublierai jamais ce moment », confiera la championne qui remportera également, en compagnie du vétéran Max Decugis, l’épreuve du double mixte.

Mais les Jeux d’Anvers scellent aussi – et surtout – l’avènement du Finlandais Paavo Nurmi, athlète de légende qui allait ensuite écrire quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de l’athlétisme.

Agé de 23 ans, Nurmi avait débarqué en métropole quasiment inconnu. Battu dans le 5.000 m, il allait savourer d’éclatantes revanches sur 10.000 m et dans le cross-country. Un prélude à sa future insolente domination dans les courses de fond. C’était, au demeurant, les Jeux de la Finlande puisque le marathon fut remporté par Johan Hannes Kolehmainen. Pour fêter l’événement, le vainqueur, modèle de sobriété, s’offrit le premier verre de bière de sa vie !  Il devait bien ça à la Belgique…

Au niveau anecdotique, ajoutons que ces JO 1920 permirent au tireur suédois Oscar Swahn de devenir, à 72 ans, le champion olympique le plus âgé de l’histoire et qu’en voile, la Britannique Dorothy Wright participa au succès de son équipe en « 7 mètres ». Seul hic : l’épreuve était réservée aux… hommes !

C’était il y a 100 ans. Les archives ont été jaunies par le temps. Et quelque chose nous dit qu’il faudra encore plusieurs générations avant que la Belgique organise à nouveau la grande fête olympique.

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