C’est une grande première. Reporté en raison de la pandémie, le Masters 2020 se dispute en novembre. Les couleurs des fleurs seront différentes. Mais, sur le mythique parcours de l’Augusta National, le défi sera toujours aussi passionnant.


Si l’on avait dit à Bobby Jones, créateur du Masters, que celui-ci se disputerait un jour au mois de novembre, il ne l’aurait sans doute pas cru. Depuis sa naissance, en 1934, le légendaire tournoi se déroule, en effet, au printemps, lorsque les magnolias et les azalées dégagent leur plus beau parfum.

Sur le parcours de l’Augusta National, on recense la bagatelle de 870.000 plantes ! Dans ce véritable jardin botanique, chaque trou porte le nom d’une fleur. Et ce n’est pas un hasard. Jadis, avant d’être rachetées par Bobby Jones, les terres étaient, en effet, la propriété du baron Louis Berckmans, un horticulteur gantois qui avait fondé les Fruitland Nurtseries, une entreprise spécialisée dans la vente d’arbres fruitiers aux Etats-Unis.

Augusta doit, bien sûr, sa renommée au somptueux dessin de son championship course et à ses traditions golfiques. Mais aussi à la magie de sa végétation environnante. Chaque année, avec l’arrivée du printemps, il revêt donc ses plus beaux habits. Et lorsque, au mois d’avril, les meilleurs joueurs du monde se retrouvent pour disputer le Masters, il présente un visage magique avec des couleurs qui défient la raison, à l’image des rhododendrons qui servent souvent de toile de fond aux greens !

Couleurs automnales

C’est dire si le report de l’édition 2020 au mois de novembre est une révolution. Logiquement, le tournoi devait avoir lieu, comme de coutume, début avril. La crise sanitaire liée à la Covid-19 a obligé les organisateurs à l’ajourner au cœur de l’automne. Un vrai crève-cœur, d’autant que l’événement pourrait avoir lieu à huis clos. Mais, hormis l’annulation pure et simple, il n’y avait pas d’autre plan B.

A quoi ressemblera l’Augusta National au mois de novembre ? Mystère et balle de golf ! Forcément, les parfums, les couleurs et les sons ne se répandront pas comme au début du printemps. Les arbres et les fleurs se pareront de rouge, de jaune et d’orange. Les baromètres seront probablement à la baisse. Et les greens n’auront probablement pas leur vitesse habituelle. Ce sera une nouvelle carte postale, totalement différente de l’habituelle. Mais, à l’arrivée, il s’agira toujours d’un tournoi de golf sur le plus beau parcours du monde. Avec, à la clé, la fameuse « green jacket ». Et que le meilleur gagne !

Un titre à défendre

Et si Tiger Woods venait à conserver son titre ? Nul n’a oublié sa fabuleuse victoire de l’an passé. En état de grâce, l’ancien n°1 mondial avait pris le meilleur sur l’Italien Francesco Molinari après un mano a mano majestueux.

« Le Tigre » possède déjà cinq vestes vertes dans sa garde-robe. Mais, secrètement, il cultive toujours l’espoir d’en ajouter d’autres. De son propre aveu, le Masters est son tournoi préféré. Il connaît le parcours comme sa poche. C’est à peine s’il n’appelle pas les fleurs et les plantes par leur prénom !

Woods a remporté son premier Masters en 1997, au terme d’une des plus grandes exhibitions de l’histoire du golf. En état de grâce, il avait pulvérisé tous les records du tournoi : le score le plus bas (-18), la plus grande différence avec le second (12 coups d’avance) et la précocité (21 ans).

En fait, Augusta lui a toujours donné des ailes. Le club géorgien l’a toujours motivé. Et pour cause : autrefois, les Noirs n’y avaient pas accès, sauf les caddies. « Le Tigre » a, lui-même, souvent souffert de racisme. Il a plusieurs fois rappelé que, gamin, il s’était vu refuser l’accès à de nombreux club-houses, où il voulait simplement acheter un sandwich. Quelque part, remporter le Masters est, pour lui, une façon de savourer une forme de revanche. Après son premier titre de 1997, il était d’ailleurs tombé dans les bras de l’ancien champion Lee Elder, premier Noir à avoir foulé les greens de l’Augusta National.

Agé de 44 ans, Tiger peut-il espérer s’imposer à nouveau cette année ? Ce n’est pas impossible. Grâce à son talent, à son expérience et à sa connaissance du terrain, Augusta lui convient comme un gant. Il a les lignes des greens dans la peau et maîtrise tous les pièges. Si son physique est au point, il sera forcément un candidat à sa propre succession. Et, en déplaçant le Masters à novembre, le destin lui a peut-être rendu service. Nul ne sait, en effet, s’il aurait pu disputer le tournoi aux dates initialement prévues. En début de saison, des douleurs récurrentes au dos l’avaient obligé à déclarer forfait à plusieurs tournois, dont le Players Championship. Il aurait peut-être dû, dans la foulée, renoncer à Augusta. En novembre, tout sera forcément différent…

Un nouveau chapitre

Seul tournoi du Grand Chelem à se disputer, chaque année, sur le même parcours, le Masters écrira, en tout cas, un nouveau chapitre de son histoire avec une collection automne 2020 complètement atypique.

Dieu sait pourtant si l’épreuve a déjà vécu de grands moments. Depuis le fameux albatros signé, en 1935, par Gene Sarazen sur le trou n°15, elle a collectionné les heures de gloire. La plupart des légendes du golf ont revêtu la mythique « green jacket » avec, à la clé, quelques exploits inoubliables.

En 1941, l’Américain Craig Wood est devenu le premier lauréat à mener le tournoi du premier au dernier jour. Arnold Palmer a remporté son premier Masters en 1958, à l’âge de 28 ans, et Jack Nicklaus, en 1963, à l’âge de 23 ans. Ensemble, les deux inséparables héros du swing américain ont additionné dix victoires à Augusta (4 pour le premier, 6 pour le second).

Gary Player, lui, remporta trois éditions (1961, 1974 et 1978) et décrocha la bagatelle de onze Top 10. Son dernier succès lui donne encore des frissons. Pointé à sept coups de la tête à l’aube de la dernière journée, il semblait condamné à jouer pour les places d’honneur. Mais, en état de grâce, il signa l’un des plus improbables come-back de l’histoire. Enquillant les birdies avec une régularité de métronome, il n’eut besoin que de trente coups pour boucler les neuf derniers trous. Du jamais-vu !  A l’arrivée, il devança d’un coup Rod Funseth, Hubert Green et Tom Watson, qui n’avaient rien vu venir !

En vérité, il n’est jamais évident de remporter ce tournoi diabolique, tant la pression est énorme le dernier jour. Le grand Severiano Ballesteros appréciait beaucoup le parcours de l’Augusta National où il pouvait donner libre cours à son génie. Le regretté champion espagnol s’adjugea, d’ailleurs, deux fois l’épreuve. En 1980, du haut de ses 23 ans et en pleine confiance, il comptait trois coups d’avance après 36 trous, 7 après 54 trous et 10 après 63 trous ! Conquérant, il semblait en passe de pulvériser tous les records. Mais Augusta peut aussi rappeler à l’ordre les jeunes surdoués. Trop sûr de lui le dernier jour, l’artiste de Pedrena concéda trois putts au 10, un double bogey au 12 et un autre au 13 ! In fine, il conserva néanmoins, en tremblant, trois longueurs d’avance sur Gibby Gilbert et Jack Newton et devint le premier Européen à revêtir la veste verte.

Oui, tout est possible dans ce théâtre des rêves. Demandez-le, si vous en doutez, à Rocco Mediate qui, en 2006, alors qu’il luttait pour la victoire, signa un score de 10 sur le trou n°12, un petit par 3 au green ceinturé par l’eau et les bunkers. C’est là aussi, d’ailleurs, qu’en 2016, Jordan Spieth perdit ses illusions de remporter un deuxième sacre consécutif qui lui semblait promis. Touché par la peur de gagner, il envoie sa balle dans l’eau. Il drope et offre une deuxième balle aux canards. Depuis, l’Américain n’a plus remporté le moindre tournoi important.

Qu’on se le dise : Augusta ne pardonne rien. C’est sa marque de fabrique. Paradis pour le regard, le parcours est un enfer pour le swing. En avril comme en novembre, avec ou sans public !

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