Un cigare au bout des lèvres, le légendaire champion de golf espagnol symbolise l’art de vivre. Mais qui se cache derrière ce joueur atypique qui roule en Ferrari et se dit socialiste ? Portrait d’un homme passionné et passionnant.


On ne le présente plus. A 56 ans, Miguel Angel Jimenez est l’une des personnalités les plus populaires et « déboussolantes » du golf mondial. Epicurien par excellence, cet Andalou aime fumer un havane au practice, déguster de grands riojas au club-house et se balader au volant de sa Ferrari Maranello sur les routes. Mais fût-il hédoniste – et fier de l’être –, c’est aussi – et surtout – un compétiteur dans le sens plein du terme. D’ailleurs, le légendaire champion espagnol vient de ravir à son ami Sam Torrance le record du plus grand nombre de tournois disputés sur le circuit européen. Depuis ses débuts professionnels, en 1982, il en compte désormais 708 ! Et il en redemande…

Un vrai champion épicurien

Dans le monde du golf professionnel, « El Pisha » (c’est son surnom) a toujours occupé une place à part. D’abord, grâce à son talent naturel. C’est un artiste, dans le sens plein du terme. Il a de l’or dans les mains, un peu comme le guitariste Manitas de Plata. Et il en use et en abuse au gré de ses humeurs. Ce n’est pas un hasard s’il est traditionnellement l’un des champions les plus suivis par les spectateurs, envoûtés par son charisme. Doué, il maîtrise tous les coups du golf avec une préférence avouée pour les… « hole in one ». Depuis le début de sa carrière, il en a déjà signé dix ! Qui dit mieux ?

Et puis, parallèlement, sa personnalité participe à sa popularité. Plein d’humour dans ses interviews, le fier hidalgo révèle volontiers les secrets de ses performances et de sa longévité au sommet. « Du jambon de Jabugo, du rioja millésimé, de grands cigares cubains et un peu d’exercice ! » Tout est dit…

Dans la foulée, il se déclare même… socialiste. « C’est dans mes gênes et dans mon éducation. Et puis, je suis un travailleur manuel », sourit-il. Et ce n’est pas faux.

Originaire de la région de Churriana, près de Malaga, Miguel Angel est issu d’une famille très modeste. Son père était menuisier. « J’étais le cinquième enfant d’une famille de sept garçons ! J’ai travaillé dès mon plus jeune âge pour ramener un peu d’argent à la maison. Je donnais à manger aux lapins et aux poules, j’enlevais les mauvaises herbes dans les jardins, je lavais les voitures. Puis, un jour, j’ai accompagné l’un de mes frères qui faisait le caddie au Golf de Torrequebrada. J’ai suivi son exemple. Je gagnais 200 pesetas pour un parcours… »

C’est en portant le sac des membres qu’il a logiquement succombé à la tentation du swing. « Ce fut un véritable coup de foudre. En fait, j’ai appris à jouer en regardant les autres. Et j’ai tout de suite compris que c’était mon destin. A 15 ans, après avoir assisté à l’Open d’Espagne de 1979 et vu à l’œuvre des légendes comme Ballesteros, Faldo et Woosnam, je suis rentré à la maison et, d’un ton solennel, j’ai déclaré à ma mère que je serai joueur professionnel de golf… »

Première victoire au… Zoute !

Ainsi dit, ainsi fait. Perfectionniste jusqu’au bout des ongles, il se pique vite au jeu. Infatigable au practice, il lui arrive de rentrer à la maison les mains ensanglantées d’avoir tant frappé les balles. L’été, même sous 40°, il travaille inlassablement son swing. Un peu, beaucoup, à la folie.  Engagé au Golf de Torrequebrada comme petite main, il abandonne sa scolarité à 16 ans et profite de chaque moment libre pour s’entraîner et progresser. Il devient rapidement l’un des meilleurs joueurs amateurs d’Espagne. Et, en 1982, du haut de ses 18 ans, il se lance dans la carrière professionnelle, au bas de l’échelle. « Je savais que je pouvais relever le défi. Je me suis inspiré à la fois de Severiano Ballesteros, pour sa détermination, sa passion, son fighting spirit, et de Jose-Maria Olazabal, pour sa rage de vaincre, son toucher de balle, sa science du jeu… »

Il remporte son premier tournoi sur l’European Tour en 1992, lors du Piaget Open qui se dispute sur le parcours du Royal Zoute Golf Club. Lors de la remise des prix, Ballesteros sert de traducteur ! « Un magnifique souvenir », glisse-t-il. Depuis, il a soulevé trente-trois autres trophées, tous circuits confondus. Il a également défendu les couleurs de l’équipe européenne de Ryder Cup à quatre reprises (1999, 2004, 2008 et 2010). « Mais sous ses airs de poète des greens, c’est un grand travailleur, très discipliné et méthodique. Il ne laisse rien au hasard, bosse comme un fou chaque détail », confient ses amis.

« Le golf a débarqué dans ma vie sans prévenir. Je ne sais ce que je serais aujourd’hui si je n’étais pas tombé amoureux de ce sport qui m’a tout donné », ajoute l’intéressé.

Le circuit « senior »

A nul doute, Jimenez aurait aimé inscrire aussi son nom au palmarès d’un tournoi du Grand Chelem comme ses compatriotes Severiano Ballesteros, Jose-Maria Olazabal ou Sergio Garcia. Mais, à l’arrivée, il a toujours dû se satisfaire des places d’honneur avec neuf « Top 10 » à son tableau de chasse ! Lors de l’historique victoire de Tiger Woods à l’US Open 2000, il a terminé deuxième à Pebble Beach ! « C’est un petit regret, évidemment… »

De la même façon, il aurait aimé être élevé au rang de capitaine de l’équipe européenne de Ryder Cup, une compétition qui lui colle à la peau. Mais, à ce jour, il n’a pas encore hérité du poste. Officiellement, parce que son anglais dégage un trop fort accent du Sud ! Et peut-être aussi parce que les effluves du cigare ne sont pas les bienvenus dans le vestiaire…

Mais il s’accommode, sans souci, de la situation. Toujours aussi doué un club à la main, il s’est reconverti avec succès sur le Champions Tour américain qui réunit les anciennes légendes du golf âgées de plus de 50 ans. Aux Etats-Unis, cette catégorie « senior » suscite un énorme engouement. Tous les tournois sont retransmis en direct à la télévision. Et Jimenez, avec son look queue de cheval et son style flamboyant, est évidemment l’une des icônes les plus appréciées du grand public. Ses duels avec Bernhard Langer, Ernie Els, Fred Couples, Colin Montgomerie ou Vijay Singh sont un pur régal pour les férus de golf vintage.

Havanes et grands crus

Fût-il désormais résident viennois (il a épousé l’Autrichienne Susanna Styblo en 2014), il retourne dès que possible dans sa région natale, à Malaga. Heureux comme un gamin. « Lorsque je reviens d’un tournoi à l’étranger, mon plus grand bonheur est de manger quelques sardines grillées dans un chiringuito au bord de la plage avec une bière bien fraîche… »

Histoire de rendre au golf tout ce qu’il lui a donné, il a participé financièrement à la création de l’école municipale de golf de Torremolinos. Ses yeux pétillent de bonheur lorsqu’il voit les gamins, hauts comme trois pommes, s’adonner aux joies du swing. « Populariser la discipline, la rendre accessible à tous, voilà ma plus grande fierté… »

En vérité, Jimenez a toujours cultivé les paradoxes, sans trop se poser de questions. C’est dans son ADN. Multimillionnaire, il se dit ainsi très proche du peuple. « Parce que je roule en Ferrari, les gens croient que je suis un capitaliste. Il n’y a rien de plus faux. J’aime la vie et j’en profite. Mais je suis heureux de payer des impôts pour permettre à la société d’évoluer et aux enfants de recevoir une éducation gratuite. C’est normal. Je sais d’où je viens… »

Un cigare au bout des lèvres, il assume pleinement son côté épicurien. Ah ! le cigare. Avec le vin, c’est l’une de ses grandes faiblesses. « Je me souviendrai toujours de ce Masters d’Augusta où j’ai croisé Miguel Angel dans la salle à manger du club-house, un verre de vin devant lui et un havane fraîchement éteint dans le cendrier. Je lui ai demandé s’il avait bien joué. Il m’a répondu qu’il était attendu sur le tee cinq minutes plus tard », raconte, amusé, Lee Westwood.

Autrefois, Jimenez grillait de simples cigarillos. Il est tombé sous le charme des purs cigares en 2000. Et désormais, sitôt sa partie terminée, il cède à la tentation, avec une préférence pour le Cohiba Siglo VI ou le Arturo Fuentes Opus X, deux purs « cubains ». Et, le soir, pour faire de beaux rêves, il aime tremper ses lèvres dans un verre de Ribera del Duero, si possible un Vega Sicilia. Et tout cela ne l’empêchera pas de se lever aux aurores pour être l’un des premiers au practice. Elle est pas belle la vie ?

Members Only partner and editor

Comments are closed.