Elle occupe une place à part dans l’histoire du sport. La Ryder Cup est une compétition totalement déroutante et improbable. C’est ce qui fait son charme. Evocation de quelques grands moments à l’aube de la 44e édition qui se dispute du 30 septembre au 2 octobre à Rome.


Le compte à rebours a commencé. Du 30 septembre au 2 octobre, la 44e édition de la Ryder Cup se disputera sur le parcours du Marco Simone G&CC, près de Rome. C’est la première fois que la mythique compétition – qui oppose, tous les deux ans, les meilleurs joueurs européens à leurs homologues américains – se disputera en Italie. C’est dire si l’événement dégagera un parfum particulier. A l’instar de l’America’s Cup en yachting ou de la Coupe Davis en tennis, la Ryder Cup est une compétition unique en son genre, teintée de mille et un mystères. Dans un sport traditionnellement individuel, elle se dispute en équipe et avec format de match-play. Et dans un sport traditionnellement piloté par l’argent roi, elle ne distribue aucun prize money. Mais, à chaque édition, elle attise les plus folles passions. Tant chez les joueurs qu’auprès du public et des médias ! L’épreuve a même relevé un défi complètement improbable : faire agiter le drapeau européen par des supporters anglais ! Complètement renversant…

La petite graine de sir Samuel

Pour les amoureux de golf, l’histoire de la Ryder Cup est un merveilleux album aux souvenirs et un formidable livre d’images, en noir et blanc et en couleurs. L’épreuve a officiellement vu le jour en 1927, un peu par hasard. A l’époque, les meilleurs joueurs anglais et américains s’affrontaient occasionnellement. Mais les rencontres aux allures de défis manquaient de véritables structures. Grainetier fortuné de Londres et passionné de golf, Samuel Ryder va permettre au duel de sortir de l’ombre. Sur les conseils de son pro Abe Mitchell, il accepte de jouer les mécènes et de parrainer un vrai tournoi opposant les deux nations. Mieux : il commande un trophée en or 14 carats à la prestigieuse compagnie Mappy & Webb. Ainsi naquit la Ryder Cup. Le marchand de maïs ne se doutait assurément pas de la portée du petit grain qu’il venait de semer dans le green !

La première édition de la Ryder Cup se déroule, les 3 et 4 juin 1927, sur le parcours du Worcester Country Club, dans le Massachussets. Emmenés par le grand Walter Hagen (joueur et capitaine) et par le mythique Gene Sarazen, les Américains dominent nettement cette pendaison de crémaillère, s’imposant par 9 points et demi à 2 points et demi. Lors des premières éditions, l’équipe américaine dicte d’ailleurs sa loi sans partage. On ne recense ainsi que deux succès britanniques : en 1929, à Moortown, et en 1933, à Southport. Il faut ensuite attendre l’édition de 1957, jouée au Lindrick GC, pour que la Ryder Cup se retrouve à nouveau de l’autre côté de l’Atlantique. Largement menés après les doubles, les Britanniques du capitaine Dai Rees signent une incroyable remontée lors des simples pour s’adjuger le trophée. Cette défaite resta au travers de la gorge des Américains qui, ensuite, collectionneront les titres grâce à une génération en or emmenée par Palmer, Casper, Trevino, Snead, Nicklaus, Floyd, Watson, Kite ou Nelson.

Avec le recul, cette hégémonie américaine – avec quelques raclées en toile de fond ! –  mit d’ailleurs l’avenir de la Ryder Cup en danger. Même les Américains finissaient par se lasser de ces matches si disproportionnés. C’est le grand Jack Nicklaus qui, à la fin des seventies, ouvre les portes du changement en suggérant d’autoriser les meilleurs joueurs européens à renforcer l’équipe britannique. L’USPGA, en accord avec les descendants de Samuel Ryder, marque son accord pour cette (r)évolution. Figure phare du golf mondial de l’époque, l’Espagnol Severiano Ballesteros n’en demande pas tant. Il prend la balle au bond et relève aussitôt le challenge.

En 1979, sur le parcours « The Greenbrier », en Virginie, c’est donc une véritable équipe européenne qui défie les Etats-Unis. Sur ses terres, l’Amérique reste la plus forte (17-11) mais, dans l’esprit de tous les observateurs, la Ryder Cup a pris une nouvelle dimension et est entrée dans une nouvelle ère.

C’est en 1985, sur le parcours anglais du Belfry, que la poudre magique européenne donne définitivement tout son effet. Le capitaine Tony Jacklin, fin psychologue, a formé une équipe très homogène. Menés après les « foursomes », les Européens renversent complètement la situation pour s’imposer 15-10 grâce, notamment, à un phénoménal Ballesteros. Deux ans plus tard, à Muirfield Village (Ohio), l’Europe confirme sa prise de pouvoir et signe un fabuleux doublé en s’imposant, pour la première fois, en terre américaine ! Même Jack Nicklaus, promu au rang de capitaine US, n’en revient pas. Portée par des champions du niveau de Nick Faldo, Ian Woosnam, Jose-Maria Olazabal, Bernhard Langer et, bien sûr, « Seve » Ballesteros, l’Europe ne fait plus le moindre complexe face au géant d’en face. L’histoire est en marche.

Depuis cette époque, en effet, c’est plutôt le Vieux Continent qui dicte sa loi en Ryder Cup. Les statistiques le confirment. Lors des 18 dernières éditions (entre 1985 et 2021), l’Europe a remporté le trophée à 12 reprises, contre six succès pour son rival. Certains duels ont même tourné à la démonstration. A Oakland Hills, en 2004, l’Amérique prit ainsi une veste historique : 9 ½- 18 ½ !  C’est la plus lourde défaite américaine de l’histoire sur ses terres. Dans l’absolu, au départ de la plupart des éditions, les Américains partent pourtant généralement favoris grâce à des joueurs officiellement bien mieux classés dans la hiérarchie mondiale. Mais, à l’arrivée, cette hiérarchie théorique est régulièrement balayée sur les greens. Parce que la Ryder Cup est différente. Parce que le match-play est une formule très spéciale où tout se joue dans la tête. Et puis, dans le chef des Américains, le golf est, d’abord, un sport… individuel. Sans complexes, très solidaires, s’encourageant sans cesse, les Européens ont un tout autre état d’esprit et jouent vraiment avec le team spirit dans le swing.

Le miracle de Medinah

C’est, à nul doute, en 2012 que ce constat est apparu de la façon la plus nette.  Sur le parcours du Medinah Country Club, près de Chicago, les Européens sont largement menés au score (4 points d’écart) à l’aube de la dernière journée. La mission semble même impossible pour les hommes de Jose-Maria Olazabal. Et pourtant, au terme d’un véritable thriller, ceux-ci vont revenir du diable vauvert pour arracher une victoire historique, signant le plus incroyable come-back de l’histoire de la compétition.

Nicolas Colsaerts était, à Medinah, le premier joueur belge à participer à la Ryder Cup. Pour sa pendaison de crémaillère, le « rookie » bruxellois hérita, d’entrée, d’un challenge à la mesure de son talent. Lors de son premier match de double, il défia, en effet, Tiger Woods en personne. Pour l’occasion, il faisait équipe avec l’Anglais Lee Westwood tandis que l’icône mondiale du swing était épaulée par Steve Stricker. Mais, à l’arrivée, ce fut un vrai mano a mano entre le « Coels » et le « Tigre » ! Au sommet de son art et pas complexé pour un sou, « Nico » sortit le grand jeu (8 birdies et un eagle) et s’adjugea une victoire inespérée sous les yeux d’un public américain incrédule. Woods, subjugué, dira plus tard : « Je n’ai jamais vu un joueur putter aussi bien… »

Le lendemain, Colsaerts faisait les gros titres des journaux américains. Jamais un « rookie » n’avait signé une si belle prestation pour son premier match en Ryder Cup. Partout, on louait la terrible frappe de balle du « Belgian Bomber » mais aussi la facilité de son swing, son élégance naturelle et son charisme ! Depuis les exploits de Justine Henin ou de Kim Clijsters au début des années 2000, aucun sportif de la petite Belgique n’avait à ce point suscité l’admiration de l’autre côté de l’Atlantique.

Malgré ce succès de prestige, l’équipe européenne n’en menait cependant pas large à l’aube de la dernière journée. Après les doubles du vendredi et du samedi, elle était même carrément menée 10-6. Bref, la messe semblait dite. C’était sans compter sur l’orgueil du capitaine espagnol Jose-Maria Olazabal qui, en coulisses, en appela à l’esprit de son compatriote Severiano Ballesteros pour transcender ses troupes. Le légendaire champion, héros de tant de Ryder Cup, était décédé un an et demi plus tôt. « J’ai demandé à mes joueurs de se battre en sa mémoire. Il nous a inspirés. Son âme nous a indiqué le chemin à suivre… » raconte Olazabal.

Portée par le winning spirit du regretté conquistador lors des douze derniers simples, la formation européenne revint donc du diable vauvert pour s’imposer, au bout du suspense, d’un petit point. C’est l’Allemand Martin Kaymer qui porta l’estocade en enquillant le dernier putt. La légende du « Miracle de Medinah » était née.

Ce sacre reste, à nul doute, le moment le plus fort de la carrière de Nicolas Colsaerts. Dix ans après, il en parle toujours avec de l’émotion plein la voix. « C’était fou, c’était magique. J’en ai encore la chair de poule rien qu’en y pensant. Le golf est traditionnellement un sport individuel. Mais en Ryder Cup, il se dispute en équipe. Et face aux Américains, ça change tout. Ça crée des liens pour la vie. Chaque fois que je croise un autre membre de l’équipe de Medinah, il y a une étincelle qui jaillit. On forme une famille… »

Pour cette édition 2023, Nicolas Colsaerts sera, à nouveau, en première ligne. Non plus comme joueur mais comme vice-capitaine de l’équipe européenne. Ce nouveau rôle, voulu par le capitaine Luke Donald, n’est pas anodin. Le « Coels » a la Ryder Cup dans la peau. Nul doute que, dans les vestiaires, il aura les mots justes pour transcender les douze apôtres européens et les exhorter vers l’exploit. Il pourra même évoquer, des trémolos dans la voix, ce fameux 28 septembre 2012 où un « ketje » de Bruxelles domina, en prime time sur NBC, le grand Tiger Woods. Oui, en Ryder Cup, tout est toujours possible. L’important est d’y croire…

Les 10 dernières éditions

2002 The Belfry                                             Europe 15½ – USA 12½

2004 Oakland Hills CC                                Europe 18½ – USA 9½

2006 The K Club                                           Europe 18½ – USA 9½

2008 Valhalla Golf Club                              USA 16½ – Europe 11½

2010 Celtic Manor                                         Europe 14½ – USA 13½

2012 Medinah CC                                          Europe 14½ – USA 13½

2014 Gleneagles                                             Europe 16½ – USA 11½ 

2016 Hazeltine                                               USA 17 – Europe 11 

2018 Golf National                                        Europe 17½ – USA 10½

2021 Whistling Straits                                 USA 19 – Europe 9

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